Parcours d’architecture

L’atelier parisien des années folles

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 451 mots

Bric-à-brac, laboratoire sacré ou hommage à la térébenthine, atelier musée, atelier chantier, l’atelier d’artiste matérialise dès la fin du XIXe siècle l’univers fantasmé de l’artiste et l’idée même de la création. Alors qu’au début du siècle, l’atelier incarne une forme d’habitation destinée à recevoir l’artiste au travail, les années de l’entre-deux-guerres vont voir le genre s’assouplir et séduire un public plus large sous l’étendard de la bourgeoisie parisienne éclairée, qui voit dans les jeux de volumes blancs, soupentes et verrières un cadre de vie moderne. Henri Sauvage et Charles Abella, chacun à leur manière, attestent de cette tendance nouvelle. Le premier met son goût déterminé pour le décoratif et le détail au service de ses recherches fonctionnelles en 1926 avec un immeuble d’ateliers en duplex (65 rue La Fontaine, XVIe), percé de larges baies et petites fenêtres en alternance, revêtu d’un carrelage polychrome remarquablement conservé. Le second cultive le compromis en 1930 combinant dans son immeuble (12 rue Cassini, XIVe) bow-windows à angle droit et tour de cage
d’escalier à moulures obliques plus classiques. Quelques années plus tôt, en 1912, André Arfvidson réalisait une architecture décorative (31 rue Campagne-Première, XIVe) rythmée de volumes hardis pour l’époque et revêtue de carrelages de grès flammé pour une série d’ateliers en duplex rechignant encore à dévoiler le béton brut de la façade. De jeunes architectes sont alors sollicités pour bâtir des cadres originaux au labeur de quelques artistes. Prévue pour abriter le peintre Amédée Ozenfant et sa famille en même temps que son espace de travail, la maison Ozenfant réalisée par Le Corbusier et Pierre Jeanneret est achevée en 1928 (53 av. Reille, XIVe). Bien avant les incontournables Cinq points pour une architecture moderne de 1927, les bases d’un langage architectural combinant des éléments fixes soutenus par un vocabulaire formel élémentaire et universel y sont jetées et la villa formalise déjà les ambitions théoriques du jeune architecte. Articulant le principe constructif DOM-INO imaginé en 1917, au système esthétique puriste, la maison d’angle se compose d’un appartement au premier étage et d’un vaste atelier éclairé par une très large verrière. L’édifice conserve aujourd’hui quelques rigoureux emblèmes du vocabulaire du Corbusier, parmi lesquels les fenêtres horizontales, les baies vitrées, l’escalier extérieur en spirale et les volumes intérieurs fragmentés, partiellement repris en 1927 pour la maison-atelier Planeix (24 bis bd Massena, XIIIe). Pour compléter la promenade, il faudrait encore découvrir l’étrange atelier que le paquebot du peintre Jean-Julien Lemordant (50 av. René Coty XIVe) frappé de cécité quelques années avant la réalisation de cet atelier en 1929. Modelant des sculptures en terre glaise en guise de maquette, le peintre assisté de l’architecte Jean Launay livre finalement un singulier espace percé d’ouvertures et perché sur un soubassement aveugle.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : L’atelier parisien des années folles

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