À la faveur de l’exposition « Lire le ciel. Sous les étoiles en Méditerranée », à Marseille, jusqu’au 5 janvier prochain, L’Œil examine à la loupe l’œuvre de Johannes Vermeer, « L’Astronome ». Un tableau fortement marqué par l’effervescence scientifique du XVIIe siècle.
C’est une banalité : depuis toujours les hommes sont fascinés par ce qui se passe au-dessus de leur tête. Le ciel étoilé et, plus largement, la voûte céleste les passionnent autant qu’ils les inquiètent. Et ce depuis la nuit des temps. Toutes les civilisations antiques l’ont ainsi peuplé de divinités afin de tenter de maîtriser symboliquement cet ailleurs inaccessible. Parallèlement, les hommes ont également développé une approche scientifique des phénomènes astraux. Les premiers exemples connus de relevés du ciel remontent à la Mésopotamie antique. Au Moyen Âge, le monde arabo-musulman fait énormément progresser cette science, notamment par l’invention d’outils spécifiques comme l’astrolabe, tandis que le XVIIe siècle est le théâtre d’une profonde révolution. L’astronome italien Galilée rompt en effet avec une croyance ancestrale qui veut que la terre soit située au centre de l’univers et que les planètes gravitent autour d’elle. Il démonte cette idée en prouvant, qu’au contraire, c’est le soleil qui est au centre de tout et que la terre tourne autour de lui. Cette théorie lui vaut les foudres de l’Église qui condamne sa thèse comme hérétique. La découverte de Galilée ainsi que son procès placent cependant l’astronomie au cœur des débats… et des arts. Les vocations d’astronome se multiplient un peu partout en Europe et les peintres s’emparent de ce nouveau sujet avec délectation. Un genre inédit voit ainsi le jour : le portrait du savant dans son cabinet. Dans une célèbre paire de tableaux, aujourd’hui séparée, Johannes Vermeer (1632-1675) immortalise un géographe et un astronome absorbés dans leurs études. Cette paire détonne dans sa production puisqu’il s’agit des deux seuls tableaux représentant un homme au travail. Ces sujets devaient donc certainement avoir une valeur forte à ses yeux. Il en livre en tout cas une interprétation saisissante à mi-chemin entre le naturalisme appuyé et l’allégorie. Son Astronomeétudiant dans son cabinet baigné d’une douce lumière devient ainsi une incarnation intemporelle du pouvoir de la connaissance.
On a longtemps dépeint Johannes Vermeer comme un génie solitaire élaborant son œuvre singulière presque comme un ermite. On sait depuis peu que cette vision est totalement fausse. Non seulement, il côtoyait de nombreux artistes, mais il gravitait aussi dans un brillant cénacle intellectuel et scientifique, à commencer par les sciences optiques qui connaissaient alors une prodigieuse émulation aux Pays-Bas. Vermeer fréquentait surtout Antoni Van Leeuwenhoek (1632-1723), un savant connu notamment pour ses recherches sur le microscope. Les spécialistes de Vermeer pensent que le peintre était si proche de Van Leeuwenhoek que les deux tableaux réalisés en pendant – Le Géographe et L’Astronome– seraient en réalité des portraits de ce dernier. Les autres représentations que l’on connaît de lui pourraient accréditer cette thèse. Bien que, comme souvent chez Vermeer, les traits du visage soient idéalisés et stéréotypés plaçant davantage ces tableaux dans le registre des « tronies » ou de la scène de genre que du portrait stricto sensu.
Ode à la science, ce tableau est souvent considéré, et à juste titre, comme l’un des plus beaux portraits de savants. Et si cette peinture ne montrait en réalité pas tout à fait ce que l’on croit ? Les experts de Johannes Vermeer ont récemment mis au jour une facette méconnue de son œuvre : sa dimension religieuse. Plusieurs indices plaident ici pour cette interprétation : la main du savant qui rappelle le geste du Christ bénissant, mais aussi la présence du tableau Moïse sauvé des eaux au fond à droite. Les dernières recherches sur Vermeer ont en effet démontré qu’il appartenait à un cercle mêlant étroitement art, science et religion. Ce groupe très actif à Delft (Pays-Bas) estimait que les découvertes scientifiques aidaient à mieux comprendre l’univers, mais également à percer les mystères de la création et de l’harmonie divines. Les spécialistes pensent même que cette tonalité infuse toute l’œuvre du peintre qui est jalonnée d’une discrète symbolique catholique, qui était cependant évidente pour le public du Siècle d’Or.
On le sait, Johannes Vermeer peignait peu et lentement, accordant une minutie presque obsessionnelle au rendu des détails, ce qui explique la fascination qu’exercent encore aujourd’hui ses tableaux. L’Astronome n’est pas en reste puisqu’il rassemble sur une petite surface – 51 x 45 cm – une foule d’objets parlants et symboliques. Comble de l’ironie, pour en admirer certains il faudrait disposer d’un microscope ! Le livre que feuillette le savant a pu être identifié comme le traité d’astronomie d’Adriaen Metius (1571-1635), datant de 1614. Les experts ont reconnu un chapitre en particulier, celui consacré aux étoiles et à l’inspiration divine. Ne pouvant rendre les premières lignes lisibles, compte tenu de la petite taille du détail, l’artiste a rusé en reproduisant de manière allusive une forme arrondie qui évoque le frontispice dudit chapitre. Alors que L’Astronome et Le Géographe représentent les mêmes outils, ce livre n’est présent que dans cette toile, ce qui indique qu’il devait tenir une place cruciale dans le propos du tableau.
Comme souvent chez Johannes Vermeer, la composition fourmille de détails réels et facilement reconnaissables. L’astronome manipule ainsi un globe céleste réalisé vers 1600 par le cartographe flamand Jodocus Hondius (1563-1612). Ses dessins stylisés semblent étonnamment répondre aux motifs de la couverture bleue posée sur son bureau : un tissu que l’on retrouve souvent dans les toiles du Hollandais. La haute armoire au fond de la pièce à gauche est, quant à elle, ornée d’un planisphère comportant des cadrans et des aiguilles, tandis que sont posés sur son bureau plusieurs outils d’observation du ciel étoilé. On reconnaît notamment un compas ainsi qu’un astrolabe. Cet objet était particulièrement parlant pour les contemporains puisqu’ils symbolisaient les grandes avancées de l’astronomie qui connaît, au XVIIe siècle, un véritable âge d’or, notamment aux Pays-Bas. D’ailleurs, l’astrolabe représenté est sans doute celui conçu par le cartographe amstellodamois Willem Blaeu (1571-1638), quelques années à peine avant l’exécution de ce tableau.
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L’Astronome, Johannes Vermeer
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°788 du 1 septembre 2025, avec le titre suivant : L’Astronome, Johannes Vermeer





