L’as de la mobilité et du tout-en-un

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 23 juillet 2007 - 934 mots

Passionné d’automobile et soucieux d’améliorer le quotidien, Joe Colombo a pensé de nouveaux modes d’habitation et de vie faits de matières modernes et de couleurs vives.

Joe Colombo était un passionné de ski et d’automobile. Issu d’une famille aisée, il peut s’offrir les plus beaux engins – Alfa Romeo, BMW… –, mais rêve évidemment à une… Ferrari. À l’époque, fin des années 1950-début des années 1960, les bolides rouges se retrouvaient déjà à chaque fois sur la plus haute marche du podium des courses automobiles. La vitesse est dans l’air du temps et la voiture un symbole fort de liberté.
Or pour Colombo, davantage que la vitesse, c’est le mouvement qui l’intéresse. Il pense, en outre, que lorsqu’un objet est au service de l’homme, ce dernier doit non seulement pouvoir tourner facilement autour dudit objet, mais aussi le mouvoir sans difficulté.
Le designer monte alors ses meubles sur roulettes afin d’offrir une mobilité maximale. Ainsi en est-il par exemple du Combi-Center (Bernini, 1963-1964), sorte de tour cylindrique composée d’un système de rangements servant à la fois de bar et de bibliothèque, voire de meuble pour accueillir une télévision.

Répondre aux usages
Quand il aménage un intérieur chez des amis ou même chez lui, comme à Via Argelati 36b, Colombo truffe les plans de grosses flèches rouges dans tous les sens, histoire de montrer que tel ou tel meuble peut pivoter, se glisser sous un autre élément, voire être entièrement déplacé. Il aura l’occasion notamment de transformer plusieurs chalets de montagne dans lesquels l’espace est compté. La surface s’avère parfois si petite que la seule issue est d’encastrer les éléments, de les faire se chevaucher. Colombo ira même jusqu’à chercher des solutions dans l’univers du mobile home ou dans celui du bateau.
Offrir le maximum à l’utilisateur devient pour lui un principe. Un objet ou un meuble doit résulter de l’optimisation de l’ensemble de ses composantes : la forme, la fonction, les matériaux. L’objectif est de satisfaire toutes les exigences possibles et imaginables. Les objets seront donc souvent multifonctions. Ainsi, le verre Smoke (Arnolfo Di Cambio, 1964), au pied décentré, permet au buveur avec une seule main de tenir à la fois son verre et… une cigarette. Et la table Poker (Zanotta, 1968) dissimule à chaque pied un cendrier qui pivote sous le plateau de jeu. De son côté, le Personal Container (Arflex, 1964), sorte de rangement qui s’ouvre telle une malle de voyage, renferme, lui, un tourne-disque rétractable.
Enfin, dernier exemple et non des moindres, avec la fameuse Tube Chair (Flexform, 1970). Ce siège est composé de quatre tubes de PVC de diamètres différents et rembourrés de mousse polyuréthane. Grâce à leurs joints d’acier, ils peuvent prendre diverses positions allant du fauteuil haut ou court jusqu’au transat. En outre, ces quatre cylindres peuvent être glissés les uns dans les autres pour tenir moins de place. Mieux qu’une simple astuce, une évidente ingéniosité.

De la fonctionnalité !
Cette volonté de concentrer de multiples fonctions, Colombo la poussera d’un cran encore avec des objets et des meubles « tout-en-un ». Ainsi en est-il de la petite cuisine Mini-Kitchen dessinée en 1964 pour la société Boffi. Dimensions : 75 x 90 x 72 cm. Dans ce volume minimal, Colombo intégrera néanmoins des fonctions complexes : tout l’appareillage électroménager et l’équipement nécessaire pour six personnes. En clair : un réchaud, un réfrigérateur, un ouvre-boîtes, des tiroirs pour la vaisselle, des surfaces de travail ainsi qu’un espace de rangement pour les livres de cuisine. Un exploit, qui plus est sur roulettes ! À en croire son ancienne collaboratrice Ignazia Favata, « ce mode de raisonner – intégrer le maximum de fonctions dans le minimum d’espace – vient selon moi de l’univers automobile ».
Petit à petit, Joe Colombo délaisse complètement la surface des murs pour inventer des unités multifonctions, autonomes et indépendantes. Dans le monde de l’aménagement intérieur, c’est une véritable révolution. En 1969, le designer exhibe Visiona 1, un projet d’« habitat du futur » que lui a commandé la firme Bayer pour la foire du meuble de Cologne. Colombo a alors carte blanche pour utiliser les derniers matériaux et fibres plastiques produits par la société chimique allemande. L’occasion est belle pour lui de concrétiser pour la première fois sa vision de la « vie dans le futur ». Il propose un concept de « cellule » d’habitation autonome qui répond aux différents besoins de l’individu : une cellule-bain, une cellule-nuit, une cellule-cuisine et une unité centrale, le Central-Living, ensemble de divans au-dessus desquels sont suspendues des étagères avec une télévision intégrée. Toutes ces unités sont fermées sur elles-mêmes et indépendantes. Telles des machines, elles occupent l’espace de manière autonome tout en étant reliées aux autres éléments de l’habitation. Une imposante forme blanche et bombée dissimule, par exemple, la baignoire. Enfin, l’éclairage est dispensé par des spots halogènes.
L’installation, qui affiche une totale liberté, est néanmoins radicale et l’esthétique en accord total avec les matériaux nouveaux. On se croirait dans un vaisseau spatial. Pas étonnant : 1969 est aussi l’année où l’homme débarque sur la Lune. Quant à la planète sur laquelle vient de se poser Colombo, aucun designer n’y a encore mis le pied.

Biographie

1930 Naissance de Cesare Colombo à Milan. Il étudie la peinture, la sculpture puis l’architecture. 1950 Adhère au Movimento Nucleare (« mouvement de peinture nucléaire ») fondé par Enrico Baj. 1960 Début de sa carrière de concepteur de mobilier et d’aménagements intérieurs et de designer industriel. Deux ans plus tard, il ouvre sa propre agence à Milan. 1963 Création du fauteuil Elda, en cuir et fibre de verre. 1970 Édition de sa célèbre lampe Alogena et des Tube-Chairs et Multi-Chairs, composés de cylindres modulables au gré des envies. 1971 Au sommet de sa gloire, il meurt prématurément à l’âge de 41 ans.

Autour de l’exposition

« Joe Colombo, l’invention du futur », jusqu’au 19 août 2007. Commissariat”‰: Mateo Kries, Ignazia Favata. Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris Ier. Métro”‰: Palais-Royal. Ouvert Informations pratiques: du mardi au vendredi de 11 h à 18 h, les samedis et dimanches de 10 h à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h. Tarifs”‰: 8 € et 6,50 €, tél. 01”‰44”‰55”‰57”‰50, www.lesartsdecoratifs.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°592 du 1 juin 2007, avec le titre suivant : L’as de la mobilité et du tout-en-un

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