Art ancien - Art contemporain

Coup de cœur

L’art ukrainien entre en résistance en Suisse

Musée Rath (Genève) et Kunstmuseum (Bâle) – Jusqu’au 23 et 30 avril 2023

Par Ingrid Dubach-Lemainque, correspondante en Suisse · L'ŒIL

Le 21 février 2023 - 588 mots

Expositions -  La Galerie nationale de Kiev vient de fêter son centenaire. Quatorze mille œuvres, des icônes à l’art contemporain, composent son riche fonds.

Invasion russe oblige, l’institution a été forcée de fermer ses portes et de mettre à l’abri ses collections menacées. Malgré un bâtiment muséal endommagé à la suite d’une attaque par roquette, l’équipe continue pourtant à mener des projets ukrainiens et internationaux. Deux institutions muséales suisses ont répondu à l’appel de Yuri Wakulenko, le directeur de la Galerie nationale, lancé au printemps 2022 pour accueillir et exposer une partie de sa collection : le Musée d’art et d’histoire de Genève et le Kunstmuseum de Bâle. Un important travail de logistique, notamment en termes de transport, a dû être entrepris pour faire voyager les œuvres de Kiev jusqu’en Suisse. « Nous avons été extrêmement soulagés lorsque nous avons appris que le camion avec les œuvres avait enfin franchi la frontière polonaise », explique Olga Osadtschy, conservatrice adjointe au Kunstmuseum et commissaire de l’exposition avec ses collègues ukrainiens. « Nous avions délibérément choisi de ne pas rendre publiques les informations concernant le projet, afin de ne pas compromettre inutilement le transport. Personne ne devait connaître les coordonnées de ce voyage. Il n’y a plus de lieux sûrs en Ukraine. Les dernières semaines l’ont encore montré clairement. Pendant les préparatifs de l’exposition, le musée a été gravement endommagé par une attaque de missiles ; des collègues de Kiev se battent sur le front ; le patrimoine culturel de l’Ukraine est détruit ou tout simplement volé. » « La culture est un bien universel », renchérit Marc-Olivier Wahler, directeur du MAH de Genève. « En temps de crise, il est normal d’être solidaire, indépendamment des frontières. » Au Musée Rath, une partie de l’exposition thématique, présentée en 2021 à Kiev et consacrée à la lumière et à l’obscurité dans l’art ukrainien du XIXe et du début XXe siècle, est reprise, porteuse d’une symbolique forte dans ce contexte de guerre ; des peintures et dessins des peintres Ivan Aivazovsky, Wilhelm Kotarbinsky, Julius von Klever, Arkhyp Kuindzhi et Ilya Répine y sont à découvrir. À Bâle, c’est sous le titre de « Born in Ukraine » qu’est montrée une version réduite d’une exposition présentée à Kiev en 2015, présentant 49 tableaux du XVIIIe au XXe siècle, et qui questionne l’identité ukrainienne. « Après la révolution d’Euromaïdan et l’occupation de la Crimée en 2014, la Galerie nationale [ancien Musée d’art russe] s’est sentie obligée de mener une recherche critique sur sa propre histoire et sa collection », explicite Olga Osadtschy. « La question est de savoir ce qui se cache derrière le label homogénéisant de ce que l’on appelle “l’art russe”. » Dans l’exposition de Bâle, au lieu d’adopter un angle thématique, c’est un argument biographique qui est mis en avant : tous les artistes de l’exposition sont nés sur le territoire ukrainien, mais ont eu des origines et des contextes très divers. « Nous présentons des artistes grecs, polonais, arméniens, ukrainiens et juifs, qui ont entretenu des échanges extrêmement fructueux avec l’Europe occidentale. » Les deux expositions réparent une injustice, celle d’une méconnaissance de l’art ukrainien, et plus généralement de l’histoire de l’art de l’Europe de l’Est chez le public européen. Elles formulent aussi un vœu, celui d’un retour de ces œuvres dans une Ukraine pacifiée. « Bien entendu, nous espérons que d’ici la fin de l’exposition, la situation se stabilise et que le musée puisse rouvrir sa collection permanente », admet Olga Osadtschy. « Si ce n’est pas le cas, la Galerie nationale réévaluera la situation. On ne peut que souhaiter que d’autres musées européens se joignent à cette collaboration. »

« De l’obscurité au crépuscule »,
Musée Rath, rue Charles-Galland 2, Genève (Suisse), institutions.ville-geneve.ch ;
« Born in Ukraine » ,
Kunstmuseum, St. Alban-Graben 8, Bâle (Suisse), kunstmuseumbasel.ch

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : L’art ukrainien entre en résistance en Suisse

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