"L’art pour l’art"

Giorgio Morandi en série à Paris

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 9 novembre 2001 - 638 mots

Après la Tate Modern à Londres, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris rend hommage à Giorgio Morandi, à travers quatre-vingts peintures de petites dimensions et des dessins, essentiellement des natures mortes des années 1950-1960, où se déclinent à l’infini les objets du quotidien – pots, bols, bouteilles, boîtes. Sans intention rétrospective, l’exposition met en exergue le caractère sériel de son œuvre, au détriment de la singularité de chacun des tableaux.

PARIS - “Pourquoi Morandi ? Pourquoi fascinent aujourd’hui encore, lentement élaborées dans l’enfermement solitaire d’un modeste atelier de province, ces petites peintures d’objets usuels d’un quotidien récurrent sans éclat ?”, s’interroge Suzanne Pagé, en préface du catalogue. L’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris tente d’apporter une réponse, en prenant le parti de dégager le dispositif sériel inhérent à son œuvre. Utilisant les mêmes objets – vases, compotiers cannelés, boîtes, tasses, bols, bouteilles –, placés selon des règles strictes et agencés de différentes manières, les Natures mortes réunies concernent les années postérieures à 1950. Cette période correspond au moment où ces objets de la vie quotidienne ressemblent de plus en plus à des agencements de formes pures, formes qu’il obtient en effaçant toute trace d’usage sur ses accessoires – sur les bouteilles, par exemple, il retire les étiquettes et les moindres reflets, puis les recouvre d’une couche opaque. Apparemment réalistes, les tableaux mettent en scène des ustensiles de la vie domestique sortis de leur contexte, conduisant ainsi à s’interroger plus librement sur l’artifice de la peinture. Entre modernité et tradition, à la fois harmonieuse et angoissée, son œuvre “est éminemment subjective”, précise Matthew Gale, commissaire de l’exposition à Londres. Dans les années 1960, comme le montre un ensemble des natures mortes de 1963, il amorce une fusion de l’objet et du décor, associant les teintes du fond aux accessoires. Si les grandes salles d’exposition du Musée d’art moderne, semblables à une longue et large galerie en coude, soulignent au mieux le principe récurrent et obsessionnel de la série chez Morandi, il prend toutefois le risque de réduire son œuvre à ce dit procédé et de passer sous silence la particularité de chaque toile. Quoi dire ? Les recherches récentes sur Morandi ont replacé sa peinture dans le contexte politique et culturel de l’Italie des années 1930 à 1960, rappelant son appartenance au groupe milanais du Novecento, affichant une tendance fasciste quasi officielle, ou encore la polémique qu’il suscita en obtenant le deuxième prix de peinture à la Quadriennale de Rome, en 1939, dans un climat de répression politique et culturelle croissante. Pourtant, l’artiste s’est toujours défendu d’être engagé. “Je reste sans doute un adepte de l’art pour l’art, au lieu de l’art pour la religion, ou pour la justice sociale, ou pour la gloire nationale”, disait-il en 1955. Si le peintre abstrait Osvaldo Licini reprochait à Morandi en 1939 d’être le “champion de la médiocrité artistique italienne et de la bureaucratie, au service de toutes les vieilles badernes nostalgiques réactionnaires du strapaese [courant réactionnaire régionaliste]”, les artistes contemporains sont beaucoup plus élogieux. En attestent les textes de Chuck Close, Elisabeth Ballet ou Hannah Collins, rassemblés en guise de conclusion. Si Robert Irwin voit en lui “le seul grand expressionniste abstrait en Europe” et Nigel Coates le “partisan d’un état d’équilibre de l’être”, Roman Opalka considère qu’il “apporte la preuve que la peinture est toujours possible”. Mais laissons à Claude Lévêque les mots de la fin : “Morandi l’anémique. Imperceptible et intemporel. On connaît peu cet artiste. Il y a des textes sur lui très cons, quoi dire ?”

- MORANDI – DANS L’ÉCART DU RÉEL, jusqu’au 6 janvier 2002, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, tlj sauf lundi, 10h-17h30 et 18h45 le week-end. Catalogue 160 p., 235 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°136 du 9 novembre 2001, avec le titre suivant : "L’art pour l’art"

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