Art moderne

XIXE SIÈCLE / EXPOLOGIE

L’art du paysage par des artistes marcheurs

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 16 octobre 2025 - 858 mots

Partant du postulat qu’un bon paysagiste marche dans son sujet, le Musée d’Ornans invite à voir autrement le paysage.

Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Chemin montant dans les hautes herbes, 1873, huile sur toile, 60 x 74 cm, Paris, Musée d'Orsay. © daniel71953, 2009, domaine public
Pierre-Auguste Renoir (1841-1919), Chemin montant dans les hautes herbes, 1873, huile sur toile, 60 x 74 cm, Paris, Musée d'Orsay.
Photo Daniel

Ornans (Doubs). Cet été, Benjamin Foudral, conservateur et directeur du Musée et du Pôle Courbet, a parié sur une exposition sur la peinture du XIXe siècle montrant « les paysages, dans un angle d’approche assez inédit qui est propre au travail de Pierre Wat ». Cet historien de l’art, spécialiste du romantisme, traite également de l’art contemporain et connaît bien Éva Jospin. En s’inspirant de son livre, Pérégrinations. Paysages entre nature et histoire (Hazan, 2017), il a assuré le commissariat scientifique de l’exposition tandis que la plasticienne a été invitée à l’Atelier Courbet pour une carte blanche, « Chambre d’écho », résonnant avec le travail de Courbet sur la nature.

Pierre Wat a construit l’exposition « Paysages de marche » à partir d’une citation du peintre Pierre-Henri de Valenciennes, tirée de Réflexions et conseils à un Élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage (1799) : « Voyagez le moins que vous pourrez en poste ; laissez ce luxe aux riches ignorants qui courent le monde comme des malles, et qui, enfermés dans leurs voitures, ne voient le pays qu’ils traversent que comme une lanterne magique à qui leur portière sert de cadre.[…] L’artiste doit voyager à petites journées, à cheval s’il est possible, et le plus souvent à pied. » Le propos du commissaire est de montrer pourquoi « l’artiste, et en particulier le peintre de paysage, doit voyager à pied. Qu’est-ce que la marche fait à la peinture ? ».

De nombreux exemples illustrent l’importance de la marche chez les écrivains, notamment pour Victor Hugo, Gustave Flaubert et, en Grande-Bretagne, William Wordsworth et Samuel Taylor Coleridge. On peut aussi remonter à Pétrarque qui, en 1336, fut le premier à faire l’ascension du mont Ventoux et à en témoigner dans une lettre, détaillant les pensées qui lui sont venues durant cet effort. Le sujet est moins étudié chez les peintres occidentaux (il l’est en revanche chez les artistes chinois et japonais). Il est connu que Claude Lorrain, John Constable, William Turner, Gustave Courbet, Paul Cézanne, Claude Monet ou Vincent Van Gogh ont été de grands marcheurs. Dans son ouvrage couronné de plusieurs prix, Pierre Wat montre que cette habitude créatrice concerne bien d’autres artistes. Sa transposition dans une exposition était donc très attendue.

Un parcours très littéraire

Or, ce passage de l’écrit au spectacle est précisément l’écueil : le visiteur s’essouffle dans ce parcours très littéraire. Dans la première salle, intitulée « Raison et passion de la marche », le visiteur peut différencier les peintres qui cheminent de ceux qui errent. Les premiers produisent des « paysages de la raison ». Pour les autres, qui s’écartent des routes et sentiers, « ce n’est plus du dehors que la nature est appréhendée à la façon d’un lieu observable et traversable, mais de l’intérieur : dans ce que celle-ci a de plus inextricable, dans ce que celle-ci a d’incommensurable. […] Un autre rapport au monde, moins transitoire et rationnel que le cheminement, s’offre à qui prend le risque de l’errance. Quelque chose de plus tactile se donne, une proximité plus corporelle que visuelle avec ce qui fait la matière même du monde ». Mais Théodore Rousseau alterne les œuvres dont l’horizon est bouché comme Intérieur de forêt (entre 1836 et 1837) et celles qui comportent un point de fuite telle Route dans la forêt de Fontainebleau, effet d’orage (entre 1860 et 1865). C’est typiquement le cas où « les approches de la marche […] se confrontent, se contrarient et parfois s’entremêlent ». Perplexité garantie pour le quidam venu voir des tableaux…

Plus loin, le peintre marche « dans le familier », c’est-à-dire autour de chez lui. Voici Paysage, combe (vers 1924-1925) (voir ill.) d’Auguste Pointelin. « Il faut aimer un tel paysage pour décider de le peindre. Il faut avoir marché là, avoir éprouvé la douceur de cette pente, connaître physiquement ce lieu pour le saisir de cette façon », commente le cartel. On sait pourtant que cet artiste jurassien peignait souvent des paysages qu’il n’avait vus que du train. Épurant de plus en plus ses tableaux des détails qui auraient pu sembler pittoresques, il était engagé dans une ascèse rejoignant celle du moine Charles-Marie Dulac. D’ailleurs, continue le cartel, « il ne peint pas sur le motif mais d’après sa mémoire et ses sentiments ». Ses paysages sont métaphysiques, fruits d’une démarche contemplative plutôt que déambulatoire et l’identification de l’artiste marcheur tourne court.

Le visiteur peut adhérer au propos... ou pas

La soixantaine de toiles, papiers, cartons et photographies, les trois sculptures – dont L’Homme qui marche (entre 1899 et 1904) d’Auguste Rodin – et les quelques objets et documents présentés sont rassemblés à Ornans pour interpréter la partition d’un auteur racontant son propre cheminement intellectuel. Ce genre d’exposition est toujours clivant : le visiteur adhère au discours ou il ne le comprend pas. Cependant, au gré d’un « parcours en zig-zag », le commissaire le contraint à regarder les œuvres avec attention et à changer sa perspective, en découvrant la dimension temporelle d’un paysage, par exemple. En même temps qu’un « Éloge de la lenteur », comme la définit Pierre Wat, cette exposition est un éloge du pas de côté.

Paysages de marche,
jusqu’au 19 octobre, Musée Courbet, 1, place Robert-Fernier, 25290 Ornans.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°662 du 3 octobre 2025, avec le titre suivant : L’art du paysage par des artistes marcheurs

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