Art ancien

L’art de vivre des mamlouks

Par Olympe Lemut · L'ŒIL

Le 24 juin 2025 - 1002 mots

Puissance guerrière de l’Égypte et du Proche-Orient médiévaux, le sultanat mamlouk révèle sa culture raffinée dans l’exposition « Mamlouks, 1250-1517 », au Musée du Louvre, brossant le portrait d’une société multiculturelle fascinée par les arts décoratifs.

Période de transition entre la chute du califat de Bagdad (1258) et la conquête ottomane (1517), le règne des Mamlouks en Égypte et en Syrie marque l’apogée des arts décoratifs et des arts du livre. L’exposition du Louvre, sous le commissariat de Soraya Noujaïm et Carine Juvin, entreprend de montrer la diversité de l’artisanat d’art sous les sultans mamlouks, pour la plupart d’origine turque ou tcherkesse (Caucase). Les Mamlouks étaient en effet d’anciens enfants esclaves militaires intégrés à l’armée des califes arabes, et ils ont développé une culture spécifique. Dans une scénographie dépouillée qui évite l’orientalisme facile, l’exposition présente de nombreux objets en métal ciselé, dont la technique fut maîtrisée à la perfection par les orfèvres de Mossoul, et plusieurs exemplaires monumentaux du Coran ou de textes populaires. Comme le précise Soraya Noujaïm, les Mamlouks avaient « une passion pour l’art du livre », illustrée ici par des manuscrits magnifiquement enluminés (bleu, or, rouge).Comme il existe très peu de peintures et de dessins mamlouks, l’exposition repose sur des vitrines d’objets et des projections immersives qui reconstituent ainsi l’environnement quotidien de la société arabe de l’époque. Les rares peintures exposées traitent des relations commerciales avec l’Europe, l’Afrique et l’Asie, notamment les Vénitiens. Des biographies de personnalités célèbres (dont quelques femmes lettrées) jalonnent le parcours pour incarner la société mamlouke et ses différentes composantes, y compris religieuse. La dernière partie de l’exposition s’attache aux arts décoratifs avec des décors en marqueterie, des textiles aux motifs complexes et des récipients en verre exceptionnels. Si ces récipients montrent la maîtrise technique des artisans, l’éclairage ne leur rend pas hommage. L’exposition se clôt sur le baptistère de Saint-Louis datant du XIVe siècle, un bassin en métal incisé d’argent au parcours assez flou avant son entrée dans les collections royales de France. Ses décors dépeignent des personnages de la cour mamlouke et des scènes de chasse extrêmement détaillées, les rendant très vivantes.

Affirmer son statut par le costume

Les Mamlouks attachaient une grande importance aux tenues d’apparat et le gouverneur de Damas ne fait pas exception. Assis sur une estrade, il arbore un turban spectaculaire en forme d’éventail à six branches, popularisé par les sultans à la fin du XVe siècle, puis adopté par les dignitaires. Ses conseillers portent un traditionnel turban blanc au pliage très élaboré, tandis que les officiers de l’armée, légèrement en retrait, portent une coiffe de laine rouge. Ce couvre-chef en poils de chèvre appelé « zamt » fut popularisé par les Mamlouks du Caucase, et avait une origine populaire avant d’être adopté par les chefs militaires, qui ont obtenu le droit exclusif de le porter. En comparaison, les tenues des Vénitiens semblent austères, car le peintre joue sur le contraste en accentuant la profondeur du noir de leurs manteaux.

Le palais du gouverneur à Damas

Longtemps les historiens ont hésité à placer ce tableau à Damas, car les Vénitiens avaient aussi envoyé des ambassades au Caire. Depuis les années 1950, il est admis que le peintre a représenté le palais du gouverneur de Damas, cité dans de nombreux textes. Sa porte monumentale à décor blanc et noir (ablaq en arabe), ainsi que les blasons calligraphiés ont permis l’identification. L’un de blasons porte les armoiries du sultan Qa’it Bay, qui a régné jusqu’en 1496. Par ailleurs, les monuments présents en arrière-plan ont été identifiés avec certitude : on voit en effet les minarets et la coupole de la Grande Mosquée, construite en 715 par les Omeyyades. Ce réalisme architectural pourrait indiquer que le peintre s’est rendu en Syrie, mais cela reste difficile à prouver d’autant qu’il n’a pas signé son œuvre. Ce tableau a inspiré plusieurs autres œuvres, notamment une grande tapisserie tissée en France ou en Flandres en 1545 où figurent ces mêmes éléments architecturaux.

Un exotisme pré- orientaliste ?

Que le peintre ait effectivement visité Damas ou non, le tableau comporte plusieurs éléments exotiques destinés à susciter l’intérêt de ceux qui le regardent. Ainsi de la présence de femmes aux fenêtres, un motif orientaliste avant l’heure. Elles sont représentées ici en arrière-plan, leurs visages flous, mais elles sont reconnaissables à leurs tenues vestimentaires typiques. Vêtues de longues robes brodées, elles portent une coiffe haute très élaborée. S’il est difficile de définir leur rôle dans la société au XIIIe siècle, à partir du XVe siècle les textes abordent plus fréquemment les sujets liés aux femmes, à leur place dans la société mamlouke et à leur statut. Plusieurs femmes célèbres ont ainsi enseigné la théologie ou la littérature, elles ont aussi possédé des biens immobiliers et joué le rôle de mécènes. Telles qu’elles sont représentées ici, elles correspondent aux stéréotypes de l’imaginaire occidental : des femmes quasiment invisibles. Il n’en demeure pas moins vrai que l’architecture mamlouke conserve la distinction entre salles publiques et quartiers privés réservés aux femmes et aux enfants.

Un art de vivre aux influences multiples

Originaires le plus souvent du Caucase, les Mamlouks étaient faits prisonniers encore enfants et convertis de force à l’islam avant d’entrer au service des califes arabes. Une fois arrivés au pouvoir, les Mamlouks ont conservé l’islam comme religion et ont opéré un syncrétisme culturel. Le tableau montre un jardin oriental intérieur, élément central de toutes les demeures nobles dans le monde arabo-musulman : de l’Espagne à l’Iran, le jardin paysager représente une miniature du jardin d’Éden, avant-goût du paradis. Le palais du gouverneur contient aussi un hammam (proche d’un petit oratoire avec un croissant sur sa coupole), reconnaissable à ses dômes ornés de cabochons en verre. Dérivé des thermes romains, le hammam s’est diffusé en Méditerranée et au Moyen-Orient en même temps que l’islam, du fait du rituel des ablutions avant la prière. Son usage a ensuite été justifié pour des raisons médicales ou esthétiques. La présence d’un hammam montre que le peintre avait des renseignements précis sur le mode de vie des élites damascènes.

À voir
« Mamlouks, 1250-1517 »,
Musée du Louvre, rue de Rivoli, Paris-1er, jusqu’au 28 juillet, www.louvre.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°787 du 1 juillet 2025, avec le titre suivant : L’art de vivre des mamlouks

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