L’art dans le décor

Les problèmes du décoratif exposés à Villeneuve-d’Ascq

Par Alain Cueff · Le Journal des Arts

Le 20 novembre 1998 - 657 mots

Refoulé et dénigré par le modernisme, le décoratif fait l’objet d’un réexamen à Villeneuve-d’Ascq. De Vassili Kandinsky à Rirkrit Tiravanja, les œuvres d’une soixante d’artistes sont autant de pièces à conviction pour l’instruction d’un dossier controversé et inépuisable.

Villeneuve-d’Ascq. En 1990, quand l’idée de post-modernisme était encore en débat, Jacques Soulillou publiait aux éditions Klincksieck un essai simplement intitulé Le décoratif. Huit ans plus tard, une exposition vient enfin alimenter une réflexion cruciale qui évite les pièges grossiers d’une relecture idéologique de la modernité. Les termes de la question, tels que Jacques Soulillou, associé à la présente démonstration, les a posés, n’ont pas sensiblement changé. Le contexte, en revanche, aurait plutôt tendance à confirmer certaines de ses analyses et, si besoin était, à justifier un peu plus pareille entreprise. Le triomphe du kitsch, les phénomènes de répétition, la dévaluation de l’invention et le fantôme de la fin de l’histoire étayent une interrogation qui ne veut cependant en rien acquérir valeur de programme. L’éloge du décoratif ne saurait se substituer au dogme antidécoratif des avant-gardes. L’exposition a comme premier mérite de rendre au contraire sensible l’ambivalence des concepts et d’alimenter généreusement un débat dont, au propre comme au figuré, le centre est partout et la périphérie nulle part.

Nuances d’un parcours
On ne saurait alors se livrer à l’habituel jeu de la liste des absents qui se confondrait sans aucun doute avec la quasi-totalité des entrées d’un dictionnaire d’art moderne. Dans son exploitation insouciante comme dans ses rejets, parfois violents et presque toujours ambigus même quand ils sont longuement argumentés, le décoratif n’est étranger à aucune œuvre mais traverse les styles et les genres. L’exposition de Villeneuve-d’Ascq traduit allusivement cette considération en un parcours qui n’obéit pas à la chronologie ni ne s’essaye à une quelconque typologie. De l’Entrée de l’exposition de Marcel Broodthaers aux peintures de 1965 de Niele Toroni, l’accrochage joue des degrés d’évidence du décoratif plus ou moins soutenus que l’on observe dans les œuvres. Il rend ainsi on ne peut plus claire l’idée selon laquelle, comme le dit Jacques Soulillou, le “décoratif n’est pas de l’ordre du visible”. Certainement pas, en tout cas, de l’ordre d’une visibilité manifeste et déclarative, car il s’agit d’une caractéristique discrète, au sens que la linguistique donne à ce terme, à laquelle viennent parfois s’en greffer d’autres.

Dimension critique
Le décoratif peut avoir une dimension critique, ainsi qu’en témoignent exemplairement l’œuvre de Broodthaers déjà citée qui interroge l’institution muséale, ou les démonstrations ironiques de Présence Panchounette qui mettent en défaut la notion d’objet d’art. Il peut être analytique, comme le montrent aussi bien les œuvres de Léger, Strzeminsky, Lichtenstein ou Stella, ou encore démonstratif chez Claude Viallat et Daniel Buren. Dans l’enfilade des salles d’exposition, les juxtapositions mettent en relief ces différents traits, en créant parfois des surprises quand, par exemple, une installation de Claude Rutault est à la lutte – inégale – avec le papier peint d’Andy Warhol, quand l’exubérance ornementale de Matisse est confrontée à la sécheresse de Robert Ryman. Les rapprochements sont parfois curieux et moins convaincants : considérer ensemble le Moo-Jyo-Dong (1989) de Nam June Paik et l’Esprit de la pyramide (1926) d’Augustin Lesage, ou les Perfect vehicules d’Allan McCollum au beau milieu d’un Wall drawing n° 563 de Sol LeWitt ne va pas de soi et sollicite trop de données hétérogènes. Mais, dès lors qu’il ne s’agissait pas de forger des preuves, cette exploration du décoratif pouvait s’autoriser quelques risques, à l’instar des nombreux artistes contemporains, comme Lily van der Stokker, Patrick Saytour ou Jeff Koons qui affrontent le kitsch avec une feinte innocence et un taux de réussite variable. Dans ce contexte, la question du décoratif se révèle un très efficace et parfois redoutable révélateur des frontières auxquelles l’art contemporain est confronté.

L’ENVERS DU DÉCOR, DIMENSIONS DÉCORATIVES DANS L’ART DU XXe SIÈCLE

Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, jusqu’au 21 février, tlj sauf mardi 10h-18 h. Catalogue sous la direction de Joelle Pijaudier-Cabot, 2 vol., ISBN 2-86-961-028-41.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°71 du 20 novembre 1998, avec le titre suivant : L’art dans le décor

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