L’art contemporain à portée du Main

Les rendez-vous de Francfort

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 13 mars 1998 - 1270 mots

Créée en 1988, la Foire d’art contemporain de Francfort s’est d’emblée spécialisée dans l’art le plus novateur, réservant en même temps une place de choix aux éditions d’artiste, un must pour la ville qui accueille également chaque année la Foire du livre. La création de ce rendez-vous, concurrent à l’époque de la Foire de Cologne, s’est inscrit dès l’origine dans la politique d’ouverture à l’art moderne et contemporain amorcée par la capitale financière de l’Allemagne, soucieuse de rajeunir son image. Le visiteur d’�?Art Frankfurt�? ne devra pas non plus manquer de découvrir ou redécouvrir le Museum für Moderne Kunst, le Portikus ou la Schirn Kunsthalle.

L’art moderne et contemporain a longtemps été le parent pauvre à Francfort : peu de lieux lui étaient ouverts. En dix ans pourtant, et grâce à une politique municipale énergique, les choses ont profondément changé. Une foire d’art contemporain a été créée – même si elle n’a pas toujours eu le succès escompté –, ainsi qu’un musée et des centres d’art. Dans le mouvement général des années quatre-vingt qui ont vu la naissance de nombreux nouveaux musées, la capitale financière n’a pas été en reste. La décision de construire un musée d’art moderne à Francfort date de 1981. À la suite d’un concours d’architecture lancé en 1982 pour une parcelle triangulaire située en plein cœur de la ville, le premier prix a été décerné le 17 mai 1983 à l’architecte viennois Hans Hollein. La construction du bâtiment a débuté en 1987 et le musée s’est ouvert finalement au public le 6 juin 1991. En 1980-1981, la Ville avait acquis pour le nouveau musée quatre-vingt quatre œuvres provenant de la collection Karl Ströher et conservées auparavant dans la cité voisine de Darmstadt. Autour de pièces ou de groupes de travaux d’Andy Warhol, Claes Oldenburg, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg, James Rosenquist, Walter de Maria, George Segal, Jasper Johns, Donald Judd, cette collection comprend des œuvres de Gerhard Richter, Arnulf Rainer, Francis Bacon, Yves Klein, Blinky Palermo, Franz Erhard Walther ou Reiner Ruthenbeck. Depuis le milieu des années quatre-vingt et après l’arrivée à la tête du projet muséographique de Jean-Christophe Ammann, ce fonds a été enrichi de travaux d’artistes plus jeunes. Dans une volonté muséale, un ensemble important de pièces permettant de faire la “jonction” entre les années soixante et les jeunes artistes a été acquis, de Anna et Bernhard Blume, Alighiero Boetti, Lothar Baumgarten, Christian Boltanski, Rémy Zaugg, Katharina Fritsch, Bill Viola, Reinhard Mucha et Stephan Balkenhol à Rosemarie Trockel, Francesco Clemente, Julian Schnabel, Thomas Ruff, Martin Honert, Robert Gober, Günther Förg, Peter Fischli et David Weiss. À côté des expositions temporaires, les trois niveaux du musée accueillent par roulement les œuvres de la collection, accrochage qui change en moyenne tous les six mois. Sous le titre “Szenenwechsel XIII” (“changement de décor”), le Museum für Moderne Kunst (MKK) présente actuellement des pièces d’Alighiero Boetti, mais aussi des travaux de Ralph Gibson, Marlene Dumas, Axel Kassenböhmer, Gerhard Richter, Johannes Spehr, Franz Gertsch ou Jean-Frédéric Schnyder.

Ces artistes, et bien d’autres, seront également exposés lors de la dixième édition d’”Art Frankfurt”, du 19 au 23 mars, où plus de 150 galeries proposeront près de 9 000 œuvres. La foire se réforme quelque peu cette année avec la création de nouveaux secteurs. Le multiple sera mis à l’honneur par un ensemble de marchands-éditeurs. L’artiste Ottmar Hörl a ainsi créé spécialement pour la foire Schwarzgeld, un multiple édité à cent exemplaires. Plus loin, une soixantaines de jeunes galeries ont été regroupées sous la dénomination “New Attitudes”. Au hasard des stands, le visiteur pourra découvrir les travaux récents d’artistes ayant déjà exposé au Portikus.

Les espaces de ce centre d’art, signés Marie-Theres Deutsch et Klaus Dreißigacker, ont été construits derrière la façade-écran de l’ancienne bibliothèque municipale due à Johann Friedrich Christian Hess. Lié à l’école d’art Städel, il tire son nom du portique qui a survécu aux bombardements de Francfort lors la Seconde Guerre mondiale. Depuis l’ouverture de ses portes il y a un peu plus de dix ans, en octobre 1987, le Portikus accueille en moyenne une nouvelle exposition tous les mois, en alternant les grandes figures de la scène internationale – Gerhard Richter, Hanne Darboven, Matt Mullican, Bruce Nauman, Richard Artschwager, Raymond Hains – et de jeunes artistes comme Eran Schaerf, Leni Hoffmann, Wiebke Siem, Sarah Lucas, Steve McQuenn, Matthew Barney... Plus de quatre-vingts expositions ont été organisées dans ce lieu dirigé par Kaspar König, l’un des commissaires du “Skulptur Projekte in Münster”. Le Portikus mène en parallèle une politique d’édition de catalogues et de multiples d’artistes tout à fait remarquable. Pendant la foire de Francfort, il accueille les œuvres de deux artistes allemands, Udo Koch et Jörg Sässe. Koch, qui vit à Francfort, réalise des pièces murales, des dessins et des formes sculpturales en plâtre, en explorant toujours l’espace qui les entoure. Les photographies de Jörg Sässe, qui vit à Düsseldorf et a été l’étudiant de Bernd et Illa Becher, sont dorénavant réalisées à partir d’images trouvées. Utilisant un logiciel de traitement graphique, il recrée véritablement de nouvelles compositions à partir de celles préexistantes. Du 10 octobre au 22 novembre, le Portikus proposera une exposition de Thomas Hirschhorn, artiste suisse vivant en France, puis de Daniel Buren (28 novembre-17 janvier 1999).

Datant de la même époque puisqu’inaugurée en 1986, la Schirn Kunsthalle de Francfort présente des expositions temporaires qui abordent des thèmes plus classiques de l’histoire de l’art, dans une programmation volontiers éclectique allant des “Icônes moscovites” à “l’Utopie de l’avant-garde russe”, d’Antoni Tàpies au Guerchin. Dans des scénographies souvent somptueuses, la Schirn expose régulièrement des collections étrangères, à l’image de la collection Barbier-Mueller d’art africain, des chefs-d’œuvre de la Phillips Collection de Washington, de la peinture allemande dans les collections du Musée de l’Ermitage ou des œuvres du XXe siècle sur papier dans celle de la Deutsche Bank. Pendant la foire, les espaces d’expositions accueilleront les œuvres du jeune Russe Maxim Kantor, l’une des “stars” de la jeune scène moscovite, dont les travaux les plus récents abordent des thèmes plus mélancoliques et plus personnels. Sa palette apparaît plus douce et plus spirituelle, et la couleur brune y prend en même temps une importance nouvelle. L’exposition a été coproduite avec la Northern Illinois University Art Gallery de Chicago, le Bass Museum of Art de Miami Beach et le Casino Luxembourg. De janvier à mars 1999, la Schirn Kunsthalle proposera une rétrospective de l’œuvre de Bill Viola, après un panorama de l’art contemporain suisse en septembre-novembre 1998. La Suisse sera en effet l’invitée de la Foire du livre à l’automne, une nouvelle occasion de se rendre sur les bords du Main. En attendant, l’amateur d’art pourra toujours aller se reposer à l’hôtel Robert Mayer, dont la cage d’escalier et chacune des onze chambres ont été aménagés par des artistes de Francfort déjà présents dans les collections du MMK. Une invitation à un sommeil paisible, en compagnie d’œuvres de Therese Traube, Kevin Slavin ou Gabi Hamm.

ART FRANKFURT, 19-23 mars, Halle 1, Messe Frankfurt, tél. 49 69 75 75 66 61, 11h-19h, entrée 22 DM.
SZENENWECHSEL XIII, jusqu’au 10 mai, Museum für Moderne Kunst, Domstraße 10, tél. 49 69 21 23 04 47, tlj sauf lundi 10h-17h, merc. 10h-20h, internet : www.frankfurt-business.de/mmk
UDO KOCH - JÖRG SÄSSE, jusqu’au 22 mars, Portikus, Schöne Aussicht 2, tél. 49 69 60 50 08 30, tlj sauf lundi 11h-18h, merc. 11h-20.
AXIM KANTOR, jusqu’au 29 mars, Schirn Kunsthalle, Römerberg, tél. 49 69 299 88 20, tlj sauf lundi 10h-19h, merc.-jeudi 10h-22h.
Hôtel Robert Mayer, Robert-Mayer-str. 44, Francfort, tél. 49 69 970 91 00, de 170 DM à 350 DM (de 570 à 1 175 francs).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : L’art contemporain à portée du Main

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