Fondation

Coup de gueule

L’"apocalypse washing", selon la collection Pinault

Bourse de commerce, Fondation Pinault, Paris-1er – Jusqu’au 11 septembre 2023

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 27 mars 2023 - 529 mots

Démonstration de puissance, « Avant l’orage », la nouvelle exposition de la Bourse de commerce, invite les visiteurs à réfléchir à la nature et aux menaces qui la guettent. Non sans cynisme…

Quand le champ culturel s’interroge sur la possibilité de séparer l’homme de l’artiste, la saison inaugurée le 8 février 2023 à la Bourse de commerce amène aussi à se demander si l’on peut départir le milliardaire du collectionneur. « Avant l’orage » réunit une vingtaine d’artistes de la collection Pinault. Son titre à double entente suggère qu’il y sera d’abord question de paysage. De fait, Texas Louise, le très grand format de Frank Bowling exposé dans le salon du rez-de-chaussée, inaugure une série de déclinaisons contemporaines du genre, parmi lesquelles un Présage d’Hicham Berrada, des nuées de Tacita Dean, les visions arides de Lucas Arruda et les teintes toxiques déployées in situ par Thu-Van Tran en écho à la guerre du Vietnam. Mais l’orage, nous préviennent les cartels, c’est aussi, et surtout, le dérèglement climatique et la destruction des écosystèmes. Déroulant les références attendues à Bruno Latour, Philippe Descola ou Anna Tsing, l’exposition lie alors critique de l’hybris occidentale et appel à réinventer nos manières d’être dans le monde et de nous lier aux « non-humains ». Cet enrobage sémantique aurait dû inciter Emma Lavigne à une certaine humilité. Seulement voilà, nous sommes à la Pinault Collection. La commissaire de l’exposition cherche donc à en mettre plein la vue : tout en s’attachant à marquer l’écart avec l’histoire de la Bourse de commerce et ce dont elle est le symbole – le colonialisme, l’exploitation des ressources naturelles, fustigés comme il se doit –, « Avant l’orage » opte pour la monumentalité et s’affirme de bout en bout comme une démonstration de puissance. Tropaeolum, la pièce maîtresse de l’exposition placée par Danh Vo dans la rotonde, en offre un exemple presque caricatural. En guise de réparation (à la guerre du Vietnam, dont la famille de l’artiste fut victime, à la destruction de la « nature »), l’imposante installation sert une version fétichisée et domestiquée du vivant, sous la forme de capucines poussées hors sol et hors saison et de troncs de chênes dont des panneaux préviennent qu’il ne faut surtout pas les toucher, tant ils ont été lourdement traités. Il faut dire que la « mutation de nos manières de voir, de penser et d’habiter », selon les termes du catalogue, est ailleurs. Attentive à instiller un peu de lumière dans un panorama globalement sombre, « Avant l’orage » loge l’espoir d’une éclaircie dans une célébration convenue du queer et des perspectives ouvertes par les IA et les cyborgs (Alina Szapocznikow, Anicka Yi, etc.). Toute occupée qu’elle est à essorer ainsi l’air du temps, Emma Lavigne en oublie où elle se trouve : chez François Pinault. Soit le symbole par excellence de ce 1 % dont sont régulièrement pointés les records en matière de captation des richesses et de bilan carbone. Difficile dès lors de lire « Avant l’orage » autrement que comme une entreprise cynique d’« apocalypse washing ». Projetée dans l’auditorium, l’étreinte d’un poisson et d’un pêcheur figurée dans O Peixe de Jonathas de Andrade finit ainsi par devenir la mise en abyme de l’exposition tout entière : une marque de domination grimée en bienveillance.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°763 du 1 avril 2023, avec le titre suivant : L’"apocalypse washing", selon la collection Pinault

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque