Arts décoratifs

L’amour en tapisserie

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2015 - 682 mots

Confrontés à des œuvres contemporaines, tapisseries et papiers peints anciens
narrant les affres de l’amour ont pris place à Beauvais.

BEAUVAIS - Les dilemmes de l’amour, tiraillé entre les voies de la raison et les chemins tortueux de la passion…, c’est le thème qu’invite à explorer cette saison la Galerie nationale de la tapisserie de Beauvais (Oise) en convoquant l’intime, ses aléas et ses tumultes. L’institution a sélectionné des pièces en provenance du Musée des arts décoratifs de Paris, lesquelles, pour beaucoup étaient en restauration et n’ont pas été présentées au public depuis longtemps, ou même jamais. Tapisseries et papiers peints, dont la chronologie court entre le XVIe et le XIXe siècle, sont rejoints par les œuvres contemporaines d’une douzaine d’artistes retenues par l’historienne de l’art Françoise-Claire Prodhon, en écho à un parcours déjà établi ; les commissaires ont en effet souhaité que l’art contemporain vienne s’intégrer au projet, afin d’établir un dialogue avec les pièces anciennes sans leur chercher systématiquement des pendants.

C’est pourtant au final l’effet qui est produit par le dispositif, avec des salles thématiques dans lesquelles presque toujours répondent aux œuvres historiques, en « contrepoints » annoncés comme tels, des travaux récents. Même si, et c’est notable, est le plus souvent évité le piège du pendant évident ou du commentaire littéral, comme avec Annette Messager qui, dans une salle traitant de l’amour profane, livre des proverbes machistes brodés aussi cruels que « La nuit il n’y a point de femmes laides » ! (« Ma collection de proverbes », 1974).

Un papier peint de Fariba Hajamadi
L’exercice peut néanmoins paraître un peu scolaire à la longue, dans cette manière d’apporter quasi systématiquement un commentaire contemporain à toutes les œuvres anciennes. Preuve qu’un peu d’autonomie ne nuit pas, un espace tortueux aux murs recouverts d’un papier peint de Fariba Hajamadi est très réussi. Sur un fond jaune élégant dans sa tonalité désuète, l’artiste iranienne a déployé des motifs bleutés inspirés de figures du Kamasutra. Sur sa composition ont pris place de grands dessins de Philippe Favier, eux aussi inspirés du recueil indien. L’artiste s’éloigne en revanche de l’imagerie originelle pour dériver vers des visions mentales (Coma Soutra, 2006). Est accroché également un tableau d’Ida Tursic & Wilfried Mille tout en teintes bleutées, influencé par la toile de Jouy ; parmi ses motifs proches des grotesques figure celui d’une jeune femme qui se donne du plaisir, motif passant presque inaperçu dans l’ensemble (Blanc d’argent et toile de Jouy, 2012-2014). Ce n’est que plus loin que se déploient de beaux panneaux XIXe inspirés par des camées antiques ou les récits de Dante, des scènes aussi très en accord avec leur support et racontant des histoires d’amour, de séduction ou de trahison.

Au final, l’ensemble a plutôt belle allure, avec des pièces anciennes d’une remarquable qualité – notables sont de grandes tapisseries florentines de grotesques de la fin du XVIe siècle –, dont la sélection montre qu’en effet ces questionnements relatifs aux affaires amoureuses ont occupé les artistes tant en France qu’en Italie ou en Flandre, et ce sur toute la période considérée. Pour la période contemporaine, les travaux sont parfois suffisamment elliptiques pour rester ouverts, à l’exemple de ces photographies de paysages de Martine Aballéa porteuses de messages anxiogènes (série « Épaves du désir », 1995), ou des saynètes délicieusement décalées peintes par Anne Brégeaut sur de petits panneaux.

L’exposition se clôt sur une pièce de choix, une partie d’un vaste ensemble de panneaux narrant Les Métamorphoses d’Ovide sur un papier peint panoramique en grisaille daté de la fin du XVIIIe siècle, qui vient de faire l’objet d’une parfaite restauration. Conçu pour habiller les parois d’une salle entière, avec 30 lais couvrant une vingtaine de mètres, sa présentation complète n’était pas envisageable. Mais même tronquée, cette œuvre mériterait presque à elle seule le déplacement à Beauvais.

AMOURS, VICES ET VERTUS

Commissariat : Monique Blanc et Véronique de La Hougue, conservatrices au Musée des arts décoratifs de Paris ; Gaïdig Lemarié, responsable de la Galerie nationale de la Tapisserie ; Françoise-Claire Prodhon, historienne de l’art et commissaire d’exposition
Nombre d’artistes : 12 artistes contemporains

AMOURS, VICES ET VERTUS

Jusqu’au 16 août, Galerie nationale de la tapisserie, 22, rue Saint-Pierre, 60000 Beauvais, tél. 03 44 15 67 00, tlj sauf lundi 12h-18h, samedi-dimanche 10h-18h, entrée libre.

Légende photo
Annette Messager, Ma collection de proverbes, 1974, collection Frac Lorraine, Metz. © Annette Messager.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°439 du 3 juillet 2015, avec le titre suivant : L’amour en tapisserie

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