La valeur n’attend pas...

L’œuvre de jeunesse de Rembrandt reconsidérée à Cassel

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 7 décembre 2001 - 784 mots

En préparant l’exposition de Cassel « Le mystère du jeune Rembrandt », le Rembrandt Research Project (RRP) n’a pas seulement attribué au maître un tableau de Dublin, La Main chaude (lire le JdA n° 137, 16 novembre 2001). Il a complètement révisé ses positions antérieures sur les débuts de l’artiste, et réintroduit dans son corpus des œuvres qu’il avait auparavant rejetées.

CASSEL - Tout a commencé avec le Buste d’un vieil homme avec une chaîne en or (1632). Lorsque le Rembrandt Research Project (RRP) a déclassé l’œuvre en la considérant comme une “imitation” de Rembrandt, Bernard Schnackenburg, le conservateur de Cassel, a protesté et l’a convaincu de reconsidérer sa position. Sa démarche a entraîné une réévaluation approfondie de la production des débuts de l’artiste, et débouche aujourd’hui sur une exposition “Le mystère du jeune Rembrandt”, qui réexamine les premières œuvres du peintre à la lumière des toutes dernières découvertes du RRP. Non seulement la mission de catalogage, basée à Amsterdam, s’implique pour la première fois directement dans une exposition, mais elle a aussi revu la plupart des assertions émises dans son précédent catalogue raisonné. Parmi les vingt-quatre tableaux présentés à Cassel et entièrement reconnus comme étant des Rembrandt, dix avaient été supprimés du Corpus du RRP.

Ernst van der Wetering, le directeur du RRP, reconnaît que les observateurs extérieurs peuvent considérer cette démarche comme une provocation “visant à ébranler à nouveau des évidences qui semblaient être le fruit d’un travail acharné”. Depuis trente-trois ans qu’il est impliqué dans le projet, ses opinions ont évolué et ouvrent aujourd’hui de nouvelles perspectives sur le jeune maître. “Le problème, c’est que nous avons fait de Rembrandt un artiste plus rationnel et prévisible qu’il ne l’était vraiment”, avoue-t-il. On l’a toujours perçu comme un artiste au style évolutionniste, “du suave au rude”, ce qui a conduit a rejeter des dizaines de peintures lors de l’élaboration du volume I du Corpus, publié en 1982. La variété même des premières œuvres, dans le style autant que dans le sujet, transparaît dans l’exposition. Il y a des peintures historiques, des portraits, des scènes de genre ainsi que le magistral Peintre dans son atelier (Museum of Fine Arts, Boston), probable autoportrait. La plupart de ces œuvres sont généralement inaccessibles, conservées dans des collections privées. Outre les peintures désormais acceptées, on trouve d’autres œuvres réalisées par ses élèves et disciples, ainsi que par d’autres artistes ayant influencé le jeune Rembrandt. Dessins et gravures complètent la présentation.

Il semblerait que les débuts de Rembrandt n’aient pas été “prometteurs”. Peintes à grands coups de pinceaux, trois scènes des Sens, représentant l’Ouïe, le Toucher et la Vue, de 1624-1625, sont vraisemblablement les réalisations les plus anciennes de l’artiste à nous être parvenues. De récents travaux de restauration ont fait disparaître de nombreux repeints, et leur attribution est à présent entièrement acceptée. Lorsque le RRP a publié le premier volume de son Corpus, les Sens semblaient si loin de Rembrandt qu’ils ne sont même pas cités. La Fuite en Égypte, conservée au Musée des beaux-arts de Tours, jusqu’alors attribuée à Dou, a également été rendue à Rembrandt. Parmi les autres peintures, qui ne figuraient même pas dans le Corpus, citons Le Prince Rupert et son tuteur, attribuée à Dou dans le catalogue du Musée Getty. De nouvelles analyses, y compris aux rayons X, ont révélé que la toile avait très probablement été commencée par Rembrandt et terminée par son élève Gérard Dou. Trois autres œuvres, datant de la fin des années 1620, sont aujourd’hui entièrement reconnues comme étant des Rembrandt : Buste d’un vieil homme avec turban (Fondation Aetas Aurea), Soldat riant (Musée Mauritshuis) et Buste d’un vieil homme avec cape (Collection Alfred Bader).

Ernst van de Wetering reconnaît que le risque de glisser dans “le jeu des attributions” existe – une préoccupation qui peut conduire à des constructions vertigineuses. “Dès qu’une œuvre est attribuée à Rembrandt, cela peut servir de passerelle à d’autres attributions ou au rejet d’autres peintures.” Il remarque également que les recherches relatives à Rembrandt sont soumises à des phases cycliques d’expansionnisme et de réductionnisme. Malheureusement, cela met les chercheurs dans une position délicate face au marché de l’art. Comme l’explique Ernst van der Wetering : “Des sommes d’argent colossales sont engagées dans le marché de l’art dès qu’il est question de Rembrandt. Le spécialiste sait à quel point ses connaissances sont sujettes à spéculation et pourtant, malgré lui, il devient une ‘autorité’ et doit délivrer des certitudes. Et bien trop souvent, ces certitudes servent des desseins d’ordre financier.”

- Le mystÈre du jeune Rembrandt, jusqu’au 27 janvier, Schloss Wilhelmshöhe, Wilhelmshöhe Allee, Cassel, tél. 49 05 61 93 777, tlj sauf lundi 10h-17h. Du 20 février au 26 mai à la Rembrandthuis d’Amsterdam.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°138 du 7 décembre 2001, avec le titre suivant : La valeur n’attend pas...

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