Art contemporain

Années 1960

La subversion Beat repasse par Paris

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 30 août 2016 - 695 mots

Le Centre Pompidou redonne corps à la Beat Generation dans une exposition qui montre le déplacement des frontières de la création et l’émulation collective qui signent l’esprit, contestataire, de l’époque.

PARIS - Sur la route : un récit, une écriture singulière, un symbole, une imagerie, un fantasme, tout cela à la fois et plus encore… Témoignage d’un esprit rebelle, usant d’une écriture sans fin sur des feuilles jointes par du ruban adhésif, le tapuscrit du roman culte de Jack Kerouac – daté de 1951 alors que l’ouvrage ne parut qu’en 1957 – domine de ses 36 mètres de long déroulés sous vitrine la formidable exposition consacrée par le Centre Pompidou, à Paris, à la « Beat Generation ».

Mouvement littéraire qui a largement imprégné les différents domaines de la création, il rassemble des gosses en quelque sorte « mal élevés », qui, au sortir de la guerre (Kerouac, Allen Ginsberg et William S. Burroughs se rencontrent à New York en 1944), souhaitent rompre avec bonne éducation et conventions sociales en se délivrant des normes d’une écriture trop unidirectionnelle. Ces écrivains vont agréger à leur cercle une forme de révolte créative. On n’y craint pas l’irrévérence comme en témoigne le poème, parmi tant d’autres, de Philip Lamantia explicitement intitulé La Mariée, par-devant derrière, tandis qu’en 1955 la lecture publique de son poème Howl par Ginsberg lui vaudra un procès pour obscénité.

Si la passion charnelle s’impose comme l’un des moteurs et des objets de la création, la liberté, c’est également celle d’une spiritualité cosmique procurée par des substances psychotropes ingérées à doses massives, qui invitent au voyage, sur un autre type de route. Un chef-d’œuvre du genre est le film Looking for Mushrooms (1959) de Bruce Conner, où, à la quête effective de champignons au Mexique, succèdent des hallucinations colorées et paroxystiques. Dès 1950, Brion Gysin avait mis au point sa Dream Machine, ici présentée, qu’il qualifia lui-même de « premier objet d’art du monde à regarder les yeux fermés ».

Ruptures de rythmes
Si cette exposition est une réussite, c’est qu’elle est habitée et qu’elle parvient à créer une véritable atmosphère, un peu brouillonne, dont le son et les images s’entrechoquent. Beaucoup de films sont projetés ; ils reconsidèrent format et écriture par leur rythme saccadé, accéléré, ou leur montage déstructuré, et souvent ne craignent pas de pousser loin le décalage. S’entrechoquent également les rencontres, échanges et collaborations dont rend fort bien compte la première moitié du parcours. Outre les nombreuses photographies, de Ginsberg en particulier, qui rappellent à quel point la création à ce moment-là a largement été le fruit d’une émulation collective, sont montrées des œuvres réalisées à plusieurs mains, comme une Peinture collective (1957) signée Gregory Corso, Allen Ginsberg, Peter Orlovsky et Ghérasim Luca. Tout en rappelant l’influence du jazz, dont l’improvisation fut essentielle pour Kerouac dans l’éruption d’une nouvelle énergie et d’une réinvention de l’écriture, on insiste sur les nouveaux outils de la reproductibilité technique – radios, magnétophones, machines à écrire… –, qui permettent de penser formes et formats innovants.

La seconde moitié de l’exposition se fonde elle sur la géographie de cette liberté revendiquée, quand la pratique subversive de l’écriture et de l’art invite à quitter les centres urbains (« se défaire des contraintes d’un périmètre trop bien tenu aux alentours de New York », ainsi que l’écrit Alain Cueff dans le catalogue). Le voyage passe par San Francisco et la Californie, où Wallace Berman anime notamment la revue Semina qui change de format à chaque parution, se poursuit au Mexique, à Tanger et à Paris. Dès 1957, un hôtel miteux de la rue Gît-le-Cœur, dans le 6e arrondissement, devint le repaire de Ginsberg – qui y écrivit Kaddish –, Orlovsky, Corso, Burroughs, Gysin et d’autres ; ces deux derniers y inventeront la technique du « cut-up » qu’ils transposent de l’écriture au son et au film.

L’idéologie libertaire de la Beat Generation aura donné lieu à une création ébouriffée et infusé les luttes pacifistes des décennies suivantes, contre le racisme et l’homophobie, pour la libération sexuelle et les droits civiques. Le montrer avec une telle ampleur est salutaire, aujourd’hui sans doute plus qu’hier encore.

Beat generation

Commissaire : Philippe-Alain Michaud, conservateur chargé de la collection de films au Musée national d’art moderne
Nombre d’artistes : 110
Nombre d’œuvres et documents : environ 600

BEAT GENERATION.

NEW YORK, SAN FRANCISCO, PARIS, jusqu’au 3 octobre, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, entrée 14 €. Catalogue, 304 p., 44,90 €.

Légende Photo :
Vue de l'exposition Beat Generation, au Centre Pompidou, Paris, avec au premier plan le manuscrit de Sur la Route de Jack Kerouac. © Photo : Georges Meguerditchian/Centre Pompidou.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°462 du 2 septembre 2016, avec le titre suivant : La subversion Beat repasse par Paris

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque