Graphisme

La Pologne en haut de l’affiche

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 12 décembre 2018 - 777 mots

ÉCHIROLLES (ISÈRE)

L’école polonaise, d’une tradition particulièrement inventive en matière d’affiche, est l’invitée du Mois du graphisme à Échirolles. Les générations qui ont succédé à ses fondateurs se sont montrées tout aussi audacieuses.

Échirolles (Isère). Après le singe nippon, la cigogne polonaise. L’affiche du Mois du graphisme d’Échirolles 2018 change d’animal, mais conserve ses trois nuances éclatantes : rouge, blanc et noir. Après les aplats stylisés du pays du Soleil-Levant, il y a deux ans, place à un trait plus exalté, typographie dégoulinante à la clé, pour illustrer la contrée invitée cette année sous le titre d’« Une révolution graphique ». La Pologne, donc, est cet autre pays majeur de la création graphique en général et de l’affiche en particulier, et ce, depuis le début des années 1950. En témoignent l’ensemble des expositions réunies, jusqu’au 31 janvier 2019, sous la bannière du « Mois », à Échirolles et dans une poignée de communes alentour.

Rassemblant une myriade d’affiches originales, accompagnée de dessins préparatoires, maquettes et autres couvertures de livre, la présentation phare se tient au Centre du graphisme d’Échirolles (place de la Libération) et se déploie, de manière chronologique, en trois temps : les fondateurs de l’école polonaise de l’affiche ; les générations qui prirent la relève, en particulier dans les années 1980 ; les créateurs actuels.

Les pionniers, ceux qui, tels Waldemar Swierzy (1931-2013), Franciszek Starowieyski (1930-2009) ou Henryk Tomaszewski (1914-2005), furent d’emblée célébrés hors de leurs frontières, à la fois par la critique internationale et par leurs confrères étrangers, « enflamment » la première salle. On est frappé par leur inventivité. Ainsi Starowieyski réussit-il l’exploit d’interpréter en une seule affiche un brin surréaliste et d’un rouge flamboyant – un personnage sans tête transformé en fauteuil [voir ill.] – deux courtes pièces d’Harold Pinter (Une petite douleur et L’Amant), mêlant les aventures d’un couple, d’un mari trompé et d’un… collectionneur de sièges. Ailleurs, le poster que dessine Jan Lenica, en 1964, pour l’opéra d’Alban Berg Wozzeck paraît étonnamment mixer le tableau Le Cri d’Edvard Munch et l’œuvre de Gustav Klimt, voire augurer de l’art psychédélique américain. Pour la galerie Wspólczesna, à Varsovie, Roman Cieslewicz (1930-1996) propose, lui, une affiche d’une séduisante modernité, résultat d’une composition ô combien cinétique, coiffée d’une typographie d’une discrétion absolue.

Une vitalité toujours d’actualité

Les générations suivantes perpétuent la même exigence. Ainsi, l’affiche imaginée par Jerzy Czerniawski pour la pièce Le Songe d’August Strinberg est glaçante. Peu de mots mais, en gros plan, une serrure de porte et, suspendue à son crochet, une clef dont l’extrémité est aussi effilée qu’un clou. Or, dans le trou de la serrure, un œil observe. Plus épuré, sinon fonctionnaliste, le projet de Wladyslaw Pluta pour un Pinocchio arbore la lettre « P » avec, à mi-hauteur, une barre oblongue et horizontale figurant le fameux nez qui s’allonge à chaque mensonge. Simple et fort.

La bonne surprise est que cette vitalité originelle est toujours d’actualité, qu’il s’agisse d’un support papier ou numérique. Ainsi de cette intrigante affiche pour la pièce de théâtre Jeanne d’Arc, le procès de Rouen, concoctée par le duo Homework fondé en 2003 : la photographie plein cadre d’une jeune femme dont le dos dénudé est barré de deux incisions perpendiculaires qui semblent dessiner une croix latine. L’un des angles formé par les entailles se soulève telle une feuille de papier, comme pour dévoiler l’épiderme. D’une redoutable efficacité !

Dans la galerie d’exposition de la scène régionale La Rampe (15, av. du 8-Mai-1945) est accrochée une sélection d’affiches de cinéma. Dès les années 1950, les visuels étrangers originaux sont interdits en Pologne : les artistes locaux doivent pallier le manque. Qu’il s’agisse de comédies italiennes, de blockbusters américains ou de films de la Nouvelle Vague française, l’imagination et l’audace sont nécessaires. Ainsi de cette affiche signée Jerzy Czerniawski pour le long-métrage Les Trois Jours du condor (1975) de Sydney Pollack, sur laquelle les serres du volatile, en gros plan, se métamorphosent en anneaux de métal : un dessin puissant, agrémenté de mots écrits à la main.

Comprendre pourquoi et à quel point la Pologne compte dans la grande histoire du graphisme mondial requiert un passage par Les Moulins de Villancourt (116, cours Jean-Jaurès). Y ont été réunies les productions de créateurs contemporains ayant suivi l’enseignement de l’un des gourous de l’affiche polonaise, Henryk Tomaszewski. Cet artiste respecté et admirable pédagogue fit le bonheur de moult étudiants polonais, mais aussi étrangers – le Slovène Radovan Jenko – et a fortiori français, comme l’évoquent, ici, quelques figures du graphisme hexagonal : Pierre Bernard et Gérard Paris-Clavel, sans oublier Alain Le Quernec, commissaire de cette exposition intitulée « Merci Henryk ! » et infaillible collectionneur – une partie des pièces exhibées dans ce « Mois » proviennent de son propre fonds.

Pologne, une révolution graphique,
jusqu’au 31 janvier 2019, programme complet sur www.echirolles-centredugraphisme.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : La Pologne en haut de l’affiche

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