La nature morte ressuscitée

Une lecture singulière de l’art du XXe siècle

Le Journal des Arts

Le 30 mai 1997 - 547 mots

Cent cinquante peintures, sculptures et installations d’une soixantaine d’artistes réunies par Margit Rowell, conservateur en chef du département des Dessins du Museum of Modern Art, proposent une remise en perspective de la nature morte dans l’art du XXe siècle, de Cézanne à Jeff Koons. L’exposition \"Objets de désir : la nature morte moderne\" tente de montrer, à travers oppositions et transgressions, la singularité de ce genre pictural.

NEW YORK. L’histoire de la nature morte – quatre cents ans si l’on ne tient pas compte des peintures ornementales de l’Anti­quité – continue de s’écrire dans l’art contemporain. Combien d’entre nous, en effet, placés devant les fruits et légumes en décomposition d’un tenant d’Arte povera comme Mario Merz, devant les récipients en série de McCollum ou les imitations de la nature poussées au paroxysme de Robert Gober, n’ont-ils pas esquissé un parallèle avec la nature morte des siècles passés ? Les premières salles de l’exposition "Objets de désir : la nature morte moderne" s’attachent au renouvellement du concept, de Boccioni à Carrà, de Braque à Picasso et de Léger aux abstraits. Les œuvres qui succèdent à celles du début du siècle abordent le sujet de façon plus allégorique, mettant en scène des objets inanimés, eux-mêmes analysés par les historiens de l’art comme les reflets complaisants des valeurs bourgeoises. En ce sens, le concept de nature morte pourrait être exprimé dans les critiques implicites des assemblages ou des ready-made dont se débarrassent les néo-dadaïstes (Jim Dine, Rauschenberg, Jasper Johns), ou bien dans le triomphe de l’objet prôné par le Pop Art (Claes Oldenburg, Andy Warhol). Dans la lignée de ces mouvements opposés se dégagent les ap­proches intimistes et particulières de Broodthaers, notamment ses boîtes, ou le mystère qui entoure les œuvres du New-Yorkais Joseph Cornell. Ses œuvres contiennent en effet des bribes de mémoire, mais elles ne sont pas très éloignées de la magie mélancolique des effets de trompe-l’œil d’Otis Kay ou du quotidien surdimensionné et nostalgique de Domenico Gnoli.

Exigences moralisatrices
Aussi, pour revenir au sens même de la nature morte, pourquoi ne pas rattacher au thème classique de la "Vanité" la Merda d’artista de Piero Manzoni, les victuailles en décomposition de Daniel Spoerri et l’obsession boulimique de la nourriture dont témoignent certaines photographies de Cindy Sherman ? Dans une exposition où se retrouvent Morandi et Christo, Lichtenstein et Chagall, Odilon Redon et Frida Kahlo, la thématique suggère des milliers de rapprochements possibles et d’interrogations. Ainsi se pose la question des Nature sculptées de Fontana ou des possibles interprétations "en icônes" d’une suspension mystique, mise en scène par Zurbarán, des néons de Dan Flavin. Un parallèle entre l’accumulation d’objets pratiquée par Warhol – boîtes de lessive ou de soupe – et la nature morte flamande – où le melon ruisselle toujours de sucre, le citron est toujours pelé et le grain de raisin patiné – n’est peut-être pas dénué de fondement. L’art d’aujourd’hui semble répondre pleinement aux exigences moralisatrices de certaines natures mortes des siècles précédents. L’expo­sition ne s’achève certainement pas par hasard sur les angoisses de l’homme face à la société qu’expriment Kiki Smith et Charles Ray.

OBJETS DE DÉSIR : LA NATURE MORTE MODERNE, jusqu’au 2 septembre, Museum of Modern Art, 11 West 53th Street, New York, tél. 1 212 708 9400, tlj sauf mercredi 11h-18h, jeudi 11h-21h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°39 du 30 mai 1997, avec le titre suivant : La nature morte ressuscitée

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