XIXE SIÈCLE

La naissance du fait divers

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 20 septembre 2017 - 793 mots

Le Musée Fenaille à Rodez consacre une exposition à l’affaire Fualdès, qui passionna la France à la Restauration.

Rodez. Le 20 mars 1817, on retrouvait le cadavre de Bernardin Fualdès flottant sur l’Aveyron, à Rodez. L’affaire Fualdès commençait banalement. Mais elle fut exceptionnelle : si l’on peut aujourd’hui visiter une exposition qui lui est consacrée, c’est parce qu’elle a agi « comme un révélateur », précise dans le catalogue Aurélien Pierre, directeur adjoint des musées du Grand Rodez et co-commissaire avec l’historien Jacques Miquel. Ancré dans les turbulences de son temps, ce fait divers est le premier de l’ère moderne par sa médiatisation.

Bernardin Fualdès allait avoir 55 ans et était retraité du poste de substitut du procureur impérial, qui exerçait la fonction d’accusateur impérial au criminel. Son emploi n’avait pas survécu à la seconde abdication de Napoléon et son aisance financière n’aurait pu résister longtemps à ce chômage forcé. Pour payer ses dettes, il venait de vendre une propriété et, l’après-midi du 19 mars, il était rentré chez lui en compagnie d’un proche, Bernard Charles Bastide dit « Bastide-Gramont », tous deux portant des sacs de pièces d’argent pour un montant total de 2 000 francs. On ne retrouva jamais cet argent. Un autre homme très lié à Fualdès, Joseph Jausion, était le seul agent de change de Rodez et le beau-frère de Bastide-Gramont. Le 20 mars, dès la mort de Fualdès connue, Jausion vint chez lui et fouilla son bureau. Accusés du meurtre de Fualdès, Bastide et Jausion furent exécutés, ainsi qu’un homme qui habitait une maison mitoyenne à celle de Fualdès.

Sorti à 8 heures du soir en arguant qu’il avait à faire, Fualdès transportait discrètement quelque chose, selon son domestique. On conclut que c’était de l’argent et que le retraité était tombé dans une embuscade tendue par ses deux prétendus amis pour voler la fortune qu’ils savaient trouver sur lui. Deux complices, Catherine Bruguière épouse Bancal (condamnée elle aussi à mort avant de voir sa peine commuée) et Jean-Baptiste Collard, auraient participé à l’égorgement du pauvre homme, dans la « maison Bancal » où ils vivaient. Mais rien ne colle dans cette enquête menée au gré de la rumeur. Bastide et Jausion étaient beaucoup plus riches que Fualdès et aucune trace de sang n’a été trouvée dans la supposée maison du crime, par ailleurs habitée par d’autres personnes qui n’y ont entendu aucun bruit. Or, à l’acmé de l’affaire, c’est une quinzaine de conjurés environ que l’on soupçonne d’avoir participé au meurtre…

Une thèse inédite

Le visiteur de l’exposition n’en ressort pas en sachant qui a tué Fualdès. Aurélien Pierre est convaincu qu’une société secrète y est mêlée, les « Chevaliers de la foi » : des sous-fifres de ce groupuscule ultraroyaliste se seraient vengés de l’ancien magistrat impérial. Mais, si cet aspect des événements est intéressant en ce qu’il évoque la Terreur blanche qui a sévi ces années-là dans la région, le propos de l’exposition est ailleurs. La passion qu’a montrée la France tout entière pour l’enquête et les trois procès, la manière dont les nouvelles ont été transmises au pays, jusqu’aux confins de l’Europe, l’utilisation de la technique toute neuve et rapide de la lithographie pour diffuser les portraits des accusés, l’intérêt pour ce fait divers repris par de nombreux écrivains et ce jusque dans le courant du XXe siècle, sans oublier, au XIXe siècle lui-même, sa traduction par un peintre aussi génial que Théodore Géricault, tout fait de l’affaire Fualdès un événement capital de l’histoire sociale.

Même le théâtre s’empara de l’affaire

Pour en comprendre les ressorts, il faut lire le catalogue, passionnant. L’exposition, quant à elle, montre à quel point le fait divers est le sujet favori des médias dès le XIXe siècle. Les lecteurs des journaux, placards et canards connaissaient le visage de chaque personne citée. Les images des scènes du drame, des moments forts des procès, de la « maison de l’horreur » sont collectionnées par le public. L’une des vedettes de l’affaire, Clarisse Manzon, une Emma Bovary locale dont les faux témoignages ont envoyé Bastide et Jausion à la guillotine, est portraiturée par Joseph Roques et ce tableau fait le tour de France pour être montré moyennant finances. Des complaintes se répandent, des cabinets de cire ambulants ou fixes mettent le crime en scène et des représentations théâtrales sont données par des comédiens, parfois avec la participation d’anciens témoins ou accusés. Nos émissions télévisées d’aujourd’hui consacrées aux faits divers n’ont rien inventé et c’est par l’une d’elles que se termine la démonstration : un écran diffuse l’épisode de la série télévisée « De mémoire d’homme » que Pierre Bellemare a consacré à l’affaire Fualdès en 1978. Il demandait aux Ruthénois qui auraient pu avoir des informations de témoigner en direct. Personne ne se manifesta. Rodez gardait encore au cœur une blessure nommée Fualdès.

 

 

L’affaire Fualdès, le sang et la rumeur,
jusqu’au 31 décembre, Musée Fenaille, 14, place Eugène-Raynaldy, 12000 Rodez.
Légende Photo :
Sébastien Coeuré, M. Fualdès entraîné chez Bancal, 1818, lithographie, 25,7 x 32,5 cm, collection particulière, Rodez. Photo D.R.

 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : La naissance du fait divers

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