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À la Maison de Victor Hugo, réapprendre à regarder

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2022 - 569 mots

PARIS

Organisée par un groupe de patients et soignants du GHU Paris psychiatrie et neurosciences, l’exposition « Regards » offre quelques trouvailles scénographiques.

Paris. En 2019, Lucienne Forest a reçu une lettre de la Mairie de Paris. On y proposait à cette non-spécialiste, ni historienne de l’art, ni muséologue, une carte blanche pour concevoir une exposition à la Maison de Victor Hugo. Seule contrainte : puiser dans les collections des musées de la Ville. Trois ans plus tard, le musée de la place des Vosges présente le résultat de cette expérience peu commune qui prend la forme d’une exposition sur le thème du regard.

Le choix du sujet peut apparaître vertigineux, surtout pour une commissaire néophyte. Le parcours traite pourtant avec méthode des différentes réalités que recouvre la notion de « regard », en proposant dans chacune des quatre salles un angle bien défini, matérialisé par des choix scénographiques affirmés d’une section à l’autre. Cela commence par une salle consacrée au point d’entrée dans le sujet le plus évident, l’œil. Ici, la commissaire d’un jour puise dans la diversité des collections de Paris Musées pour engager la réflexion : depuis des masques antiques aux orbites évidées, mis en résonance avec un Apollon d’Antoine Bourdelle, jusqu’à des pendentifs sur la face desquels a été peint l’œil de l’être aimé.

La section « Voir ou regarder » est certainement celle qui propose les choix les plus originaux – et c’est ce que l’on attend d’une exposition imaginée par une « amattrice ». Pour rendre tangible la distinction entre le regard passif et l’acte d’épier, d’observer, d’admirer, la commissaire choisit ici de mettre des obstacles entre les yeux des visiteurs et les œuvres présentées. D’abord par un redoublement du cadre par une alcôve, devant une toile d’Eduardo Arroyo, ce qui intensifie le sentiment de solitude de cette scène.

En direction des publics éloignés

Plus loin, une Baigneuse du sculpteur Jules Dalou est dissimulée à l’intérieur d’un octogone de cimaises : pour l’apercevoir, le visiteur est contraint de se mettre en position de voyeur, en scrutant l’œuvre à travers l’un des trous percés. L’œuvre, devant laquelle on passerait peut-être sans même la voir dans les couloirs du Petit Palais, retrouve ici tout son érotisme par cette orientation maligne du regard.

Si le parcours est moins érudit qu’une exposition conçue par un commissaire d’exposition professionnel, il joue sur la puissance évocatrice des œuvres. Ainsi, dans la dernière salle du parcours, une tête de Méduse de Bourdelle – « l’œuvre la plus effrayante de l’exposition », selon un proche de la commissaire – est présentée inversée haut-bas, comme pour éviter toute pétrification malencontreuse d’un visiteur.

Cette exposition est le fruit de la politique d’ouverture aux publics éloignés de la culture menée par Paris Musées, qui a déjà donné lieu à deux expositions conçues et présentées dans des centres pénitentiaires. Ici, ce sont des patients et soignants du GHU Paris psychiatrie et neurosiences qui ont planché trois ans durant sur ce projet d’exposition, imaginant un personnage fictif pour les représenter. À moins que… le parcours ne s’achève sur un bureau, où l’on retrouve une lettre du grand-père de Lucienne qui a orienté le choix du sujet de son exposition. On comprend aussi qu’elle a vécu un burn-out, et que la proposition inattendue de la Mairie de Paris a pu en constituer une porte de sortie. Lucienne Forest existe-t-elle vraiment ? Les patients et soignants du GHU sont en tout cas décidés à continuer de la faire vivre.

Regards,
jusqu’au 5 juin, Maison de Victor Hugo, 6, place des Vosges, 75004 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : À la Maison de Victor Hugo, réapprendre à regarder

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