Art contemporain

La géométrie tremblante d’Eva Hesse

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 6 juin 2019 - 471 mots

Le Musée de Wiesbaden met en lumière l’exploration graphique de la sculptrice autour d’une abstraction expressive personnelle, liée aux mouvements des années 1960.

Wiesbaden (Allemagne). Le musée de Wiesbaden, cette ville thermale cossue située près de Francfort-sur-le-Main, a de la suite dans les idées. Près de quinze ans après l’importante exposition consacrée, en 2002, à Eva Hesse (1936-1970), il propose une autre présentation de l’œuvre de cette artiste née en Allemagne dont la famille d’origine juive émigra aux États-Unis juste avant la guerre. Tandis que la première fut consacrée à la sculpture de Hesse, l’exposition actuelle met en exergue les travaux graphiques de l’artiste depuis les débuts de son apprentissage, accompagnés de quelques œuvres en trois dimensions.

Ces dessins, toutefois, n’appartiennent pas à la catégorie des « dessins de sculpteurs ». De fait, dans sa pratique, l’artiste américaine ne cherche l’expression ni de l’espace ni du volume. Ces dessins se laissent essentiellement voir comme des explorations dans le cheminement de Hesse qui navigue alors entre plusieurs mouvements artistiques. Nous sommes dans les années 1960 et l’on assiste en quelque sorte à un « embouteillage » esthétique à New York. L’expressionnisme abstrait est en fin de course et, presque simultanément, le minimalisme, le land art, puis l’Anti-Form font leur apparition. C’est ainsi que Hesse se voit invitée à la fameuse exposition new-yorkaise de 1966, « L’abstraction excentrique », pour laquelle l’historienne de l’art Lucy R. Lippard a réuni des artistes dont les travaux font naître une abstraction qui explore de nouvelles perceptions sensuelles et relationnelles.

Ses œuvres, presque toujours dépourvues de titre, ne cherchent pas la puissance, n’ont rien d’explosif. Ces cercles irréguliers, tout en entrelacs et en boucles, sont formés à partir de gestes intériorisés, introvertis, qui avouent leur fragilité. Centripète plutôt que centrifuge, l’expressivité que dégagent ces travaux est certes moins spectaculaire, mais plus troublante que celle de l’Action Painting de Pollock. L’artiste accepte volontiers la tutelle de ce dernier en déclarant : « Le chaos peut être aussi structuré que le non-chaos. Cela nous l’avons appris de Jackson Pollock. »

Rythme heurté

Le parcours se poursuit avec des dessins dans lesquels des lignes qui se croisent et se recroisent décrivent le rythme heurté et chaotique d’une liaison impossible. Dénués de toute tension, ils semblent répondre à des forces gravitationnelles plus qu’à une composition stricte. Le spectateur reste fasciné devant l’une des sculptures majeures de Hesse, montrée ici, Metronomic Irregularity I (1966). Cet enchevêtrement de fils de fer fixés sur des panneaux métalliques est à l’image d’une centrale téléphonique déréglée et offre la métaphore explicite d’une communication obstruée. Ici comme ailleurs, l’artiste suggère par un désordre ordonné, des circuits cachés, entremêlés, connectés les uns aux autres par des liens rationnels et chaotiques à la fois. Dans une sorte de géométrie pessimiste, les « réseaux » de Hesse affichent une forme de résistance passive, entre la résignation et l’attente d’une délivrance.

Eva Hesse, dessins,
jusqu’au 23 juin, Musée de Wiesbaden, Friedrich-Ebert-Alle 2, Wiesbaden, Allemagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°525 du 7 juin 2019, avec le titre suivant : La géométrie tremblante d’Eva Hesse

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