Picasso

La genèse d’un style

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 28 février 2011 - 727 mots

Le Musée Van-Gogh, à Amsterdam, présente « Picasso à Paris », ou comment la Ville lumière fut un contexte déterminant pour l’art du maître.

AMSTERDAM - C’est un projet d’exposition ambitieux que les historiens de l’art jugeront pertinent. Le visiteur de « Picasso à Paris, 1900-1907 », au Musée Van-Gogh, à Amsterdam (Pays-Bas), pourra le remarquer en traversant un parcours aride malgré quelques pièces majeures, dont la scénographie est simplement absente. La commissaire de l’exposition, Marilyn McCully, spécialiste en titre de Picasso, raconte ici une histoire, comme elle le fait dans le catalogue illustré d’une quantité d’œuvres et de documents… dont beaucoup ne figurent pas dans l’exposition. Pour goûter à l’effervescence parisienne qui fit le terreau de Picasso en train d’inventer son art, il faudra monter à l’étage du musée voir le petit accrochage « Sortir à Montmartre », ou bien trouver l’inspiration devant la pièce dansée de Kristina de Châtel jouée chaque vendredi soir au milieu de la période rose du maître (hélas plus propice à inspirer le deuil de l’avant-garde). La sélection « pointue », ou plutôt drastique, témoigne des difficultés de plus en plus grandes à déplacer les œuvres. Même s’il n’y avait que peu d’espoir à voir les Demoiselles d’Avignon (Museum of Modern Art de New York) clôturer logiquement ce parcours réalisé en collaboration avec le Musée Picasso de Barcelone, il a aussi fallu composer sans les œuvres du Musée Picasso de Paris contraint de monnayer ses prêts pour financer sa restauration.

Pourtant l’histoire mérite d’être racontée tant elle éclaire le cheminement esthétique de ce Catalan qui met les pieds à Paris en 1900 où il va, en quelques années, révolutionner la représentation. C’est sûr, Paris a « fait » Picasso avant que ce dernier n’y règne en maître. Très vite, le peintre, âgé de 19 ans, applique les découvertes plastiques de ses contemporains, et fait siens les motifs de Toulouse-Lautrec ou Steinlein – cabarets, prostituées, dont la célèbre Margot (L’Attente) à la touche rapide et aux couleurs violentes épatait la critique chez Vollard en 1901. Mais le jeune artiste doit encore digérer toutes ces influences synthétisées la même année dans l’étonnante composition de La Chambre bleue. Dans cette scène d’atelier aux teintes prémonitoires, Picasso emprunte la figure du Tub de Degas, et avec un certain maniérisme, cite les natures mortes de Cézanne et les blancs de Matisse sur les draps du lit, au-dessus duquel est punaisée une affiche de Toulouse-Lautrec. 

Douceur de vivre
L’enfant prodige se remet au travail, sa peinture change d’humeur et de style. Si la période bleue commence avec le suicide de son ami Casagemas, l’exposition montre, dans une petite salle, les nouvelles influences qui traversent alors le peintre, imprégné du mal du siècle et sensibilisé à la misère humaine quand il peint les femmes de la prison Saint-Lazare. En réduisant sa palette, Picasso travaille la forme, ses figures s’allongent, se décharnent comme celles de Rodin, deviennent anguleuses. Il emprunte le cerne noir de Gauguin, dont le portrait hiératique de Vaité Goupil (1896) se détache sur un fond sans perspective. Il suit aussi la leçon du symboliste Puvis de Chavannes, dont il copie les figures statuaires dans des dessins rappelant la formation académique que le génie s’efforce d’oublier. Puis le Bateau-Lavoir, où il s’installe en 1904, est le lieu de nouvelles rencontres, nouvelles inspirations. La douceur de vivre teinte l’œuvre de rose sans dissiper la mélancolie qui caractérise un univers poétique très personnel. S’appropriant le motif des saltimbanques présent chez Daumier ou Seurat, Picasso fait bientôt de l’Arlequin son double allégorique, figure méditative, souvent représentée flottant dans un espace indéfini.
Enfin, le dernier volet de l’exposition suit le chemin qui mène tout droit aux Demoiselles, quand le peintre, ayant découvert la sculpture primitive, taille à la hache les visages et les corps devenus massifs. Étonnant détour cependant, mais historiquement juste, le fameux Autoportrait à la palette de 1906 a pour voisines Les Trois Hollandaises (Centre Pompidou, Paris) réalisées pendant l’été 1905 au pays de Van Gogh. Ces trois grâces campées dans un paysage simplifié traduisent dans la composition l’héritage de Puvis de Chavannes, tout en amorçant l’abandon des figures longilignes au profit d’un corps sculptural, qui lui aurait été en partie inspiré par la « stature » des Hollandaises !

PICASSO

Commissariat : Marilyn McCully, spécialiste de Picasso, en collaboration avec le Musée Picasso de Barcelone

Nombre d’œuvres : 70

PICASSO À PARIS, 1900-1907

Jusqu’au 29 mai, Musée Van-Gogh, 7, Paulus Potterstraat, Amsterdam, Pays-Bas, tél. 31 20 570 52 00, www.vangoghmuseum.nl, tlj 10h-18h, vendredi jusqu’à 22h. Catalogue, éd. Van Gogh Museum, 256 p., 175 ill., 30 euros, ISBN 978-9-0793-1022-7

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°342 du 4 mars 2011, avec le titre suivant : La genèse d’un style

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