La France entre tradition et modernité

Le Journal des Arts

Le 19 décembre 1997 - 1293 mots

Dès qu’une entreprise se lance dans le mécénat, elle est rapidement submergée par les sollicitations. La situation des maisons de couture est emblématique : le prestige attaché à leur activité, plus que leurs moyens, leur attire des demandes de toute part. Il en ressort une impression de dispersion, de la recherche contre le cancer ou le sida à la littérature, sans oublier la musique classique ou le rock. Parmi ces opérations, les beaux-arts occupent une place de choix. À côté des musées, qui sont les principaux bénéficiaires de leur générosité, les artistes reçoivent également leur part du pactole.

La haute couture est un secteur économique relativement privilégié, à l’abri des caprices de la conjoncture, au moins pour les anciennes maisons. Que des sociétés comme Yves Saint Laurent (YSL) ou Christian Dior soient adossées à de grandes multinationales – Elf-Sanofi pour l’une et Louis Vuitton-Moët-Hennesy (LVMH) pour l’autre – favorise également les actions de mécénat. La décision d’agir de préférence dans le domaine culturel répond à plusieurs considérations. Il n’y a pas si longtemps que la mode est considérée comme un art. Dès lors, soutenir les beaux-arts peut exprimer le sentiment d’une appartenance à la même sphère. Jean-Paul Claverie, responsable du mécénat chez LVMH, ne dit pas autre chose quand il affirme que “la créativité d’un grand peintre comme La Tour présente des affinités avec celle d’un couturier”. Sans aller aussi loin, on peut considérer avec Alain Hyvelin, Pdg de Balmain, que “la haute couture relève d’un art de vivre plus que d’une industrie” et, à ce titre, entretient des connivences avec la création artistique.

Les couturiers sont des esthètes et se reconnaissent dans les créations des peintres et des sculpteurs, quand ils ne sont pas eux-mêmes des artistes, tel André Courrèges. Souvent, les motivations d’une politique trouvent leurs racines dans l’histoire de la maison et l’action du fondateur. Ainsi, Alain Hyvelin, à la tête de la maison Balmain depuis trois ans, a cherché à retrouver l’esprit de Pierre Balmain qui, selon ses propres mots, “était un humaniste”. Christian Dior, en son temps, avait apporté son concours à une exposition “Watteau”. Mais le désintéressement, qui va de pair avec une relative discrétion, n’est pas le lot commun. Chez Dior, le mécénat culturel a, pour Jean-Paul Claverie, une fonction précise : “servir la stratégie de l’entreprise” et “développer un autre type de communication”. Grâce à cette action, “Dior est devenue une institution culturelle à part entière”.

Des budgets secrets
Les processus de décision varient d’une maison à l’autre mais répondent généralement à un coup de cœur des dirigeants. Le président de Balmain, issu du monde de l’industrie, explique qu’il a naturellement souhaité s’impliquer dans l’exposition “Fernand Léger”, qu’il qualifie de “peintre des années industrielles”. Si certains, comme Pierre Bergé, président d’Yves Saint Laurent, ou Bernard Arnault, président de LVMH, affirment déterminer seuls les projets à soutenir, d’autres, plus humbles, soumettent leurs choix au conseil d’administration. “Des opérations d’une telle ampleur ne se décident pas seul”, reconnaît Alain Hyvelin, qui ajoute : “On veut montrer qu’on a du pouvoir en disant Je décide seul.” Quant aux budgets, variables en fonction des opérations projetées, ils sont la plupart du temps tenus secrets. Le goût de la discrétion s’étend parfois au mécénat même ; Hermès, par exemple, ne souhaite pas révéler la nature de ses actions, si ce n’est pour dire qu’elles sont dirigées vers l’artisanat. Seule la maison Yves Saint Laurent a consenti à dévoiler le montant de ses interventions pour 1997 : 3,5 millions de francs, dont 1,5 pour la culture (des arts plastiques à la musique en passant par la littérature).

L’enrichissement des collections des musées est une voie d’action privilégiée, puisque de nombre d’institutions qui conservent des costumes ou des textiles ont reçu des dons importants. Olivier Lapidus a offert au Musée des tissus de Lyon des modèles récents inspirés des soieries lyonnaises ; Balmain a donné aussi bien au Musée Galliera qu’au Musée de la mode et du textile. Ce dernier a été gratifié depuis sa création d’un nombre considérable de vêtements ou de dessins de la plupart des plus grands couturiers (voir la sélection des musées de la mode). Parfois, l’équipement ou la rénovation d’un musée est réalisé grâce à l’intervention d’une maison de couture : Dior a financé la transformation de la Villa “Les Rhumbs” à Granville en Musée Christian Dior, tout en s’attachant à “rendre à la maison son aspect d’origine”. Yves Saint Laurent, de son côté, a annoncé, par la voix de son médiatique président, sa décision de prendre en charge les travaux de rénovation des salles de la National Gallery de Londres consacrées à la peinture française du XVIIe siècle.

De Géricault à La Tour
D’autres, plus prosaïquement, se contentent d’organiser des dîners de prestige dans le but de rassembler des fonds pour les musées. Chanel a de cette façon repris pied dans le mécénat artistique, pour le plus grand profit de la Tate Gallery et du Boston Museum of Fine Arts.De nombreuses expositions temporaires reçoivent le soutien plus ou moins discret de la haute couture française. YSL ne néglige pas totalement la France puisqu’il est partenaire de “Géricault” à l’Énsb-a et apporte une aide régulière aux manifestations du Centre Georges Pompidou. Il participe ainsi à l’édition d’un livre sur Man Ray à l’occasion de la prochaine exposition. Beaubourg, visiblement très prisé par les couturiers, a bénéficié pour “Fernand Léger” d’un financement important de Balmain, qui étudie la possibilité d’offrir au Centre, à l’occasion de sa réouverture, une sculpture monumentale de 10 mètres pour le parvis. Le soutien aux expositions peut dépasser le cadre d’une intervention unique et faire l’objet d’accords à plus long terme avec une institution. Agnès b. – la haute couture n’est pas la seule à s’intéresser aux arts – avait, dans ce cadre, conclu un partenariat pour l’année 1997 avec le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie pour les actions en faveur de l’art africain contemporain. Malheureusement, celui-ci ne sera pas renouvelé.

La même Agnès b., à la fois styliste et galeriste, a contribué au développement de P.S. One, le centre d’art new-yorkais récemment rénové ; elle fait également partie du comité international qui veille à sa programmation. Les expositions prestigieuses attirent naturellement les maisons de couture, Dior en tête. Celle-ci s’est récemment associée à deux grandes expositions à succès du Grand Palais, “Cézanne” et “La Tour”. Pour “Cézanne”, sa participation est allée jusqu’à la création de produits dérivés. Il serait sans doute plus judicieux, dans ce cas, de parler de “sponsoring” que de mécénat. Au Metropolitan Museum of Art de New York, Dior a en grande partie financé l’exposition organisée pour le cinquantième anniversaire de la maison. Plus discrète est l’organisation d’activités pédagogiques au Grand Palais le mardi, jour de fermeture des galeries. Cette ouverture vers l’éducation témoigne de la volonté d’être un “partenaire actif” et de proposer quelque chose de spécifique, en l’occurrence une “action concrète mise en place par une entreprise” précise Jean-Paul Claverie. Peut-être, en matière d’enseignement de l’histoire de l’art, faudra-t-il compter encore longtemps sur des initiatives privées. Depuis l’exposition “Poussin”, Dior organise en outre un concours pour les élèves des écoles des beaux-arts, français ou étrangers, dont le prix est une bourse d’études dans un pays choisi par le lauréat. La promotion de l’art contemporain ne profite pas qu’aux musées, elle s’efforce de favoriser l’émergence de nouveaux talents. Alors que Balmain envisage d’organiser des présentations d’artistes dans ses salons, Pierre Cardin a depuis longtemps créé un centre, l’Espace Véga à Saint-Ouen, pour exposer de jeunes créateurs choisis par ses soins. Cardin, mécène de longue date, achète fréquemment des œuvres pour sa collection, qui sera léguée à sa fondation. Le Palais Bulle, à Port-la-Galère, créé pour accueillir des artistes, devrait recevoir ce legs et le présenter de façon permanente.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°50 du 19 décembre 1997, avec le titre suivant : La France entre tradition et modernité

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