Royaume-Uni - Art ancien

Chamanisme - Londres, une exposition en or

La force hypnotique des trésors précolombiens

Confrontant à ses propres collections deux cents pièces du Musée de l’or de Bogotá, le British Museum fait briller l’autre face du mythe de l’El Dorado

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 795 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Associant les joyaux de ses propres collections à quelque deux cents pièces provenant du Musée de l’or de Bogotá, le British Museum, à Londres, donne sa version du mythe de l’El Dorado. Près de vingt siècles d’orfèvrerie précolombienne défilent dans cette nouvelle exposition qui s’attache à reconstituer avec une grande clarté le contexte spirituel dans lequel ces bijoux et objets fins étaient fabriqués, puis utilisés.

LONDRES - Il est assez piquant de constater que de nombreuses expositions d’archéologie intègrent souvent dans le titre de leur catalogue les termes racoleurs d’« ors » ou de « trésors ». Force est d’admettre que lorsqu’il s’agit d’une exposition d’orfèvrerie précolombienne, l’appellation s’impose, tant le métal jaune domine l’ensemble de la production de son éclat solaire… Loin de céder à la tentation facile de présenter des pièces sous le seul angle esthétique (la plupart d’entre elles subjuguent néanmoins par leur design d’un modernisme stupéfiant), le British Museum sacrifie encore une fois à sa veine pédagogique et reconstitue avec clarté le contexte spirituel qui a vu naître ces objets sur le sol colombien, du Ve siècle avant notre ère jusqu’à l’arrivée des Européens, à l’aube du XVIe siècle.

Bercé par des sons de flûtes et d’oiseaux, le visiteur appréhende ainsi l’univers dense et quelque peu inquiétant de la forêt amazonienne, peuplée d’une flore et d’un bestiaire qui ne cesseront de féconder les croyances et l’imaginaire des orfèvres précolombiens. Pour les sociétés amérindiennes, il n’existe pas, en effet, de césure brutale – et encore moins de hiérarchie – entre le monde des hommes et celui des plantes et des animaux. Chaque créature vivante est donc soumise à un cycle incessant de métamorphoses. Lorsqu’il pose sur son visage un masque de félin, l’officiant religieux ou « chaman » observe ainsi le monde à travers les yeux d’un jaguar dont il hérite, pour un temps donné, la vision aiguë et les instincts de prédateur. De la même façon, les animaux possèdent de multiples identités et, selon les contextes, peuvent se transformer en bêtes sauvages ou en monstres sanguinaires…

Des accessoires indispensables aux rituels
Reflets de ces croyances cosmogoniques, les ornements précolombiens (colliers, pectoraux, pendants d’oreilles, bracelets, labrets, épingles…) sont donc bien plus que de simples instruments de séduction ou de vulgaires colifichets. Par l’éclat solaire et hypnotique du métal dans lequel ils ont été façonnés, par la force symbolique de l’animal ou de la plante qu’ils sont censés matérialiser, ils apparaissent comme les accessoires indispensables de ces rituels de métamorphoses. Parmi les thèmes iconographiques les plus prisés par les orfèvres précolombiens, s’impose ainsi celui de l’homme-oiseau. Ne symbolise-t-il pas, par excellence, le vol extatique qui conduit le chaman dans l’au-delà ou à travers les différents niveaux du cosmos ? Stylisée ou réaliste, la représentation de la chauve-souris apparaît bien plus inquiétante. Lorsqu’il épouse le faciès grimaçant de cet animal nocturne, le chaman se transfigure ainsi en un vampire assoiffé de sang. Maîtrisant l’obscurité, sa perception du monde est inversée, et on le perçoit lui-même comme une créature particulièrement effrayante… Dotées de propriétés hallucinogènes qui conduiront à la transe et à la communication avec l’invisible, les plantes jouent, elles aussi, un grand rôle au sein des rituels. Parmi les objets les plus extraordinaires de l’exposition, figurent ainsi ces récipients ventrus baptisés poporo dans lesquels les Indiens préhispaniques consommaient des feuilles de coca mêlées à de la chaux. Pour les élites, la possession d’un de ces objets en or s’avérait hautement symbolique : l’acte d’extraire la chaux de la calebasse avec un bâtonnet s’apparentait en effet à une métaphore de l’acte sexuel…
Lorsqu’ils foulèrent ces contrées « exotiques » aux antipodes de leur vision du monde, les Espagnols ne s’intéressèrent, hélas, qu’à la valeur matérielle de ces objets coulés dans le précieux métal jaune. Colportée par les chroniqueurs, la légende de l’El Dorado (littéralement « l’homme doré ») mettant en scène un cacique fendant les eaux d’un lac, le corps entièrement recouvert de fines pellicules d’or, allait à son tour embraser les esprits. Au nord de la Colombie, les conquistadores se mirent alors à piller avec un tel acharnement les grands tumulus funéraires – les « sépultures du Diable » selon leurs propres termes ! – que la toute nouvelle ville de Carthagène dut faire face à un afflux sans précédent ! Étrange paradoxe, lorsque l’on sait que pour les Indiens, l’or n’avait de sens que s’il était transformé en bagage funéraire ou en symbole religieux...

Beyond El Dorado, power and gold in ancient Colombia

Jusqu’au 23 mars, British Museum, Great Russel Street Londres, Grande-Bretagne. Ouvert tlj 10h-17h30, vendredi jusqu’à 20h30. Réservations et renseignements par téléphone au 020 73 -23 8181 et sur le site du musée : www.thebritishmuseum.ac.uk, catalogue rédigé par Elisenda Vila Llonch, Éditions du British Museum, 192 pages, 19,99 £ (23,98 €).

Légende photo

Couvercle de Poporo avec visages humains, Quimbaya, 600-1 100 ap. J.-C., British Museum, Londres. © the Trustees of the British Museum.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : La force hypnotique des trésors précolombiens

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