Art ancien - Art contemporain

DE LA RENAISSANCE À NOS JOURS

La Fondation de l’Hermitage dévoile sa part d’ombre

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 3 octobre 2019 - 505 mots

L’exposition « Ombres de la Renaissance à nos jours » offre un large panorama du traitement esthétique accordé à l’ombre et la lumière.

Lausanne. La légende est connue. Pour Pline l’Ancien, Dibutade, une belle Corinthienne, invente la peinture en traçant sur un mur le contour de l’ombre de son amant qui part en voyage. Dans un commentaire sur le portrait, Diderot écrit : « Quelle a été la première origine de la peinture et de la sculpture ? Ce fut une jeune fille qui suivit avec un morceau de charbon les contours de la tête de son amant dont l’ombre était projetée sur un mur éclairé » (Salon de 1763). Selon cette légende, souvent répétée à travers les siècles, l’image est rendue de façon spontanée par l’ombre et l’activité de l’artiste est réduite au simple travail d’enregistrement d’une œuvre produite par la nature.

L’exposition de Lausanne s’ouvre sur quelques exemples inspirés par ce prototype de création. Mais, si la scène peinte par Joseph-Benoît Suvée, en 1776, reste encore fidèle à son origine, d’autres artistes y introduisent des variations : Les Ombres portées de Grandville (1830), La Nuit ou La Puberté de Munch (1902) ou, plus récemment, une performance de Vito Acconci, Shadow-Play (1970).

 

 

Le règne du caravagisme

Toutefois, l’ambition de la manifestation est nettement plus vaste (trop ?). Inévitablement, ce sont le XVIIe siècle avec l’apparition du caravagisme, puis le romantisme avec l’emploi du clair-obscur, qui ont ici une place privilégiée. À défaut de Caravage, ce sont les œuvres de Jacob Jordaens (Sainte famille avec sainte Anne, le jeune saint Jean et ses parents, 1625) ou Portrait de femme au turban de Francesco Cairo (1630) qui illustrent l’importance des contrastes de luminosités entre les différentes zones de la toile. Plus tard, les intérieurs éclairés à la bougie par Joseph Wright of Derby ou le célèbre autoportrait de Delacroix dégagent une puissance dramatique exceptionnelle.

Malgré la qualité des œuvres présentées, le visiteur s’interroge en raison de la proximité qui prête à confusion entre des ombres véritables et une peinture qui accorde une part importante à l’obscurité (des représentations nocturnes essentiellement).

C’est l’avènement de la modernité qui permet de clarifier cette situation. D’une part, avec les impressionnistes et plus encore avec les post-impressionnistes, les ombres quittent, en effet, les ténèbres et ont droit à la couleur. D’autre part, et l’exposition le montre bien, ces reflets fidèles à la réalité se révoltent. Ils refusent de suivre aveuglément leurs « maîtres » et s’accordent une certaine autonomie. Ainsi, avec Picasso, l’ombre menaçante se substitue à la présence humaine (L’Ombre, 1953). Ailleurs, la silhouette d’un personnage sur un mur n’a rien en commun avec les objets empilés en face et dont les reflets sont absents (Tim Noble et Sue Webster, Jeune homme, 2012). Ailleurs encore, les « Shadows » d’Andy Warhol (1979), ces triangles colorés qui courent sur les murs, ne gardent de l’ombre que leur titre. Enfin, qu’il s’agisse de la belle installation de Boltanski (Le Théâtre d’ombres, 1984-2019) ou des nombreuses photographies exposées à la Fondation, visiblement les ombres sortent de l’ombre.

 

 

Ombres de la Renaissance à nos jours,
jusqu’au 27 octobre, Fondation de l’Hermitage, route du Signal 2, 1018 Lausanne, Suisse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°530 du 4 octobre 2019, avec le titre suivant : La Fondation de l’Hermitage dévoile sa part d’ombre

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