La Corse ressuscite les Maures

Un étranger à la fois effrayant et séduisant

Le Journal des Arts

Le 11 septembre 1998 - 663 mots

Le souvenir des invasions maures a profondément marqué l’imaginaire populaire corse et constitue une composante importante de la culture de l’île. Le Musée de la Corse s’est interrogé sur les images, les textes, les rituels insulaires, et sur ceux des autres pays de l’Europe méditerranéenne nés de cette confrontation. L’exposition souligne l’ambivalence de la perception du Maure, cet étranger à la fois effrayant et séduisant.

CORTE - Quel meilleur témoignage de l’intégration dans la culture corse de cette partie de l’histoire de l’île que celui de son drapeau, la testa mora, une tête de maure noire sur fond blanc ? D’origine incertaine, il pourrait rappeler la victoire d’un chevalier chrétien sur un adversaire maure, ou le souvenir de la reconquête de la Corse sur les Sarrasins.

Près de trois siècles d’incursions maures sur les côtes méditerranéennes, entre 1508 et 1798, ont fait naître un sentiment de terreur barbaresque qui s’est confondue avec la peur plus ancienne du Sarrasin. Le récit des survivants a contribué à magnifier les batailles et à effectuer un passage du réel à l’imaginaire. Au-delà de la représentation – dans de nombreux tableaux – de ces batailles où il est l’ennemi, le Maure a été plus généralement assimilé au “méchant”. Le thème iconographique du “Maure-bourreau” apparaît dès la première moitié du XVIIe siècle dans les scènes de martyres, dans les chemins de Croix vers 1740, et restera très populaire jusqu’au XIXe siècle. Les tableaux choisis dans les 300 édifices religieux de l’île, peints par des artistes locaux, donnent une image inhabituelle des bourreaux du Christ représentés sous les traits de pirates barbaresques, de Ponce Pilate en sultan ou de badauds, vêtus à l’orientale.

Les affrontements ne doivent cependant pas occulter les contacts plus pacifiques, notamment commerciaux, qui ont permis d’instaurer des échanges entre les deux mondes. Le Maure, dont le raffinement et la sensualité se traduisaient par la richesse des vêtements, était propre à susciter la fascination. Nombre de récits épiques et romanesques ont élevé chevaliers chrétiens et maures au même rang de héros, et rendus possible les amours entre guerriers et princesses de religion différente. Les plus populaires furent le Roland furieux de l’Arioste et la Jérusalem délivrée du Tasse, parus respectivement en 1511 et 1581, qui ont connu un engouement durable. Un même esprit d’égalité anime la Moresca, cérémonie qui associe théâtre, musique, danse et chant, où l’évocation des combats a connu son expression la plus spectaculaire. Profondément impressionné par la splendeur des costumes et la synchronie parfaite des exécutants, l’Abbé Gaudin a laissé une description admirative de la Moresca donnée à Vescovato en 1786. L’importance de ce texte dans la culture corse a d’ailleurs été l’un des points de départ de l’exposition. Elle y est recréée à travers les dessins réalisés pour l’occasion par Mighele Raffaelli.

Les fêtes espagnoles des Moros y Christianos ont également gardé le souvenir du faste et du raffinement des rois de la cour de Grenade. D’autres pays méditerranéens ont conservé ces traditions commémoratives, que répertorie le catalogue luxueux, au graphisme foisonnant.

L’un des deux commissaires de l’exposition, Jean-Marc Olivesi, ancien conservateur du musée, aujourd’hui chargé du Musée Fesch d’Ajaccio, se déclare enthousiasmé par “l’intérêt soulevé par le sujet et l’écho trouvé auprès des musées étrangers”, en particulier italiens et espagnols. Ils ont été nombreux à prêter des pièces, de valeur ou symboliques, tel l’étendard pris aux Maures à la bataille de Lépante conservé au Musée naval de Venise. Un an après son ouverture, le musée de Corte a su organiser une exposition qui inscrit le développement culturel de l’île dans un contexte méditerranéen et traduit une volonté d’ouverture.

MORESCA, IMAGES ET MÉMOIRE DU MAURE

Jusqu’au 30 décembre, Musée de la Corse, La Citadelle, Corte, tél. 04 95 45 25 45, tlj de 10h à 20h jusqu’au 20 septembre, tlj sauf lundi de 10h à 17h du 21 septembre au 31 octobre, tlj sauf dimanche, lundi et jours fériés de 10h à 17h du 1er novembre au 30 décembre. Catalogue, 380 p., 380 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°66 du 11 septembre 1998, avec le titre suivant : La Corse ressuscite les Maures

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