Vestige

La civilisation en mémoire

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 3 janvier 2017 - 362 mots

Anne et Patrick Poirier, retour vers le futur.

SAINT-ÉTIENNE - En 2235, un individu, qui vit dans une cabane précaire, a rassemblé divers objets : fragments de sculptures, insectes dans des bocaux, photographies… Probablement des vestiges témoignant d’une civilisation disparue,  l’ensemble étant inscrit dans une bulle transparente, certainement pour se protéger. Intitulée Danger Zone, cette œuvre de 2001 donne également son titre à l’exposition que consacre à Anne et Patrick Poirier le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, en le transposant toutefois au pluriel : « Danger Zones ». Plus qu’une menace latente, ce parcours donne à voir une anticipation des dérèglements funestes qui attendent le monde, basée sur des indices délivrés par l’expérience du présent, avec la vision lugubre d’une ville au plan anarchique totalement recouverte de noir (Exotica, 2000).

Dans la dernière salle de cette rétrospective organisée en quatre chapitres et une quarantaine d’œuvres, c’est l’une de leurs plus belles installations qui prend ses aises dans un espace adéquat. Dans la « Salle des mémoires englouties » plongée dans le noir, Domus Aurea IV, élaborée en 1977, fait retourner vers le passé en laissant contempler les vestiges d’une civilisation disparue surnageant sur une eau noire. Entre ruines anciennes et contemporaines, c’est un singulier itinéraire qu’a suivi le couple d’artistes qui, à ses débuts dans les années 1970, n’ignore rien des courants minimalistes et conceptuels alors en vogue, mais ne souhaite embrasser ni une aventure formaliste ni une pratique marquée par une quelconque idéologie du vide. En fait de table rase, c’est vers les sciences humaines et les cultures anciennes qu’ils se tournent. Archéologie, histoire, anthropologie ou mythologies vont alors nourrir une réflexion qui aboutit dans des œuvres, où un rapport assumé à la monumentalité sert à entretenir une conscience de la civilisation à entretenir, protéger et perpétuer.
En témoigne entre autres une œuvre spectaculaire, le Journal de Los Angeles, réalisé en 1995 au cours d’un mois de résidence, où chaque jour neuf dessins intégrant des fragments de choses récupérées ou d’expériences vécues sont venus se figer sur des feuilles de papier… Avec le sentiment que cette mémoire demeure des plus fragile et pourrait facilement se voir engloutie, en effet.

ANNE ET PATRICK POIRIER. DANGER ZONES

Jusqu’au 29 janvier, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole, rue Fernand Léger, 42270 Saint-Priest-en-Jarez, www.mamc-st-etienne.fr, tlj sauf mardi 10h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°470 du 6 janvier 2017, avec le titre suivant : La civilisation en mémoire

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque