Art contemporain

Klein, sa vie en bleu, rose ou or

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2019 - 668 mots

Le Musée Soulages à Rodez propose une rétrospective fondée sur une approche sensible de l’œuvre de cet artiste tourné vers l’immatériel.

Rodez (Occitanie). Il existe au moins deux sortes de rétrospectives. L’une, savante, un peu pédante et toujours très complète, explore l’ensemble de l’œuvre – et de la vie – de son héros. La masse d’informations offerte, la quantité de détails, rendent difficile, pour un non-spécialiste, d’y discerner les points forts. Rodez, en revanche, a opté pour un choix très serré mais qui fait le tour de la production artistique d’Yves Klein (1928-1962). Après avoir aperçu quelques toiles de cet autre « monochromatique » – noir en ce qui le concerne – qu’est Soulages, le visiteur arrive dans une salle spacieuse dominée par le célèbre « IKB » (International Klein Blue), autrement dit la couleur bleu profond mise au point par le créateur niçois. Le mérite principal de l’exposition est d’écarter le parcours chronologique, peu pertinent au regard de la carrière fulgurante de Klein, mort à l’âge de 34 ans, et de proposer une approche que l’on pourrait qualifier de sensible.

Immersion dans la matière

Le visiteur est immédiatement immergé dans l’œuvre grâce à une vaste surface rectangulaire, une couche épaisse de pigments bleus – une piscine poudreuse en quelque sorte (Pigment pur bleu, 1957 ; reconstitution 2019). Au-dessus de cette installation trône un monochrome – bleu. La première partie de la manifestation présente essentiellement les différents travaux faits par la main de l’artiste : des monochromes de couleurs diverses, « Monogolds » et « Monopinks », des « Cosmogonies », des « Sculptures Éponges » ou encore des « Reliefs Éponges ». Là comme ailleurs, l’accrochage, en évitant la surcharge, est clair et aéré.

Puis, ce sont les œuvres que l’on peut cataloguer comme des « empreintes », avec en premier lieu les « Anthropométries », ces traces sur papier de corps de jeunes filles nues et couvertes de pigments. Ces suaires d’azur sont une version sophistiquée et érotisée d’un geste qui remonte à l’enfance de l’art : les traces anonymes que l’on trouve dans des grottes et les premières expériences de Klein, qui fixait les empreintes de ses mains sur des chemises. Cette performance spectaculaire (1959-1960) – à son sujet , le critique d’art Pierre Restany compare les corps de ces femmes à des « pinceaux vivants »– est restée célèbre, mais elle n’est pas la seule. On peut voir à Rodez l’ensemble des pratiques artistiques de Klein. Sans partager nécessairement l’enthousiasme de Benoît Decron, le maître des lieux, pour qui l’artiste est presque l’équivalent de Léonard de Vinci au XXe siècle, on reste impressionné par cet esprit parfois brouillon, toujours fantaisiste. Montrer ses œuvres n’est pas une tâche simple tant ses activités visent à une modification de la substance des matières, voire à un passage de la matière à l’immatériel. Un exemple : les plans du projet architectural utopique, une maison au toit invisible, constitué à partir d’air comprimé et de parois d’eau, qu’il conçoit avec Claude Parent (L’Architecture de l’air, 1959). Ailleurs, les « Peintures de feu » (1961) sont réalisées à l’aide de flammes de gaz très puissantes avec lesquelles Klein manipule la surface de cartons suédois, choisis en raison de leur résistance plus importante à la combustion. Le pinceau est remplacé par un bec brûleur, dessinant comme des empreintes en creux. Le feu, cet élément purificateur, fascinera de plus en plus un créateur sous l’influence des écrits de Bachelard qui déclare que les tableaux sont les « cendres » de son art.

Une réalité nouvelle

Les travaux de Klein impliquent souvent l’intervention de trois des quatre éléments : l’eau, le feu et l’air. L’air ou le vide, une notion essentielle pour lui ; en 1960, il fait un saut dans le vide dont la photographie – en réalité un photomontage – paraît dans le numéro unique de Dimanche, un journal qu’il fabrique lui-même. À Rodez, un fac-similé de ce document sera distribué au public. Une manière d’affirmer que si Klein appartient au groupe des Nouveaux Réalistes, il ne cherche pas de nouveaux rapports avec la réalité mais invente plutôt une réalité nouvelle, la première réalité immatérielle.

Yves Klein, des cris bleus,
jusqu’au 3 novembre, Musée Soulages, jardin de Foirail, av. Victor-Hugo, 12000 Rodez.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°527 du 5 juillet 2019, avec le titre suivant : Klein, sa vie en bleu, rose ou or

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