Op, pop

Kazuya Sakai, une géométrie débridée

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 18 janvier 2017 - 672 mots

Le Musée d’art moderne de Mexico fait redécouvrir l’abstraction géométrique, vigoureuse et musicale, des années mexicaines de l’artiste japonais.

MEXICO - Eût-elle été contemporaine que sa biographie eût résonné tel un formidable exemple de la mondialisation en marche : un Japonais né à Buenos Aires qui vécut au Mexique avant de s’installer aux États-Unis jusqu’à la fin de sa vie, voilà qui n’est pas banal. À cette exception près que Kazuya Sakai, largement méconnu en Europe, est né en 1927 et s’est éteint en 2001.

Autre motif de surprise, c’est à son initiative, ainsi que le relate l’artiste Manuel Felguérez dans le catalogue de l’exposition, que fut créé un mouvement d’art géométrique au Mexique : « Suivant sa suggestion, nous décidions de fonder un mouvement d’art géométrique, [Jorge Alberto] Manrique [historien et écrivain mexicain] serait notre conseiller théorique et notre diffuseur. Il n’est pas étonnant que ce fut Sakai qui fit cette proposition, compte tenu de l’importance et de la transcendance que le mouvement géométrique avait eues en Amérique du Sud. » L’aventure conduisit à la tenue, en 1976, d’une grande exposition dévolue à ce courant au Museo de Arte Moderno de Mexico.

Influence américaine

Cette même institution lui rend hommage aujourd’hui en mettant en avant, avec une centaine d’œuvres, ses années mexicaines entre 1965 et 1977. C’est là le principal écueil de l’exposition que de se focaliser sur cette donnée géographique. Car si le point de vue paraît relever d’une certaine logique, il laisse le spectateur sur sa faim quant à l’avant et l’après de la production de cette figure singulière, qui aurait mérité que le spectre soit un peu élargi.

Ce qui frappe dans l’œuvre de Sakai, qui entre 1963 et son installation au Mexique vécut à New York, c’est l’influence de la peinture américaine : cette période charnière affirme déjà une primauté de la couleur chez un artiste qui mélange allègrement des éléments très variés, un peu à la manière de Rauschenberg dans ses collages (voir Gun, 1965).

La rupture est néanmoins très vite consommée. Son art redevient géométrique, avec des champs de couleur venant diviser la toile. Toujours les compositions sont complexes et très « rythmées », comme s’il s’agissait de défier une organisation par trop rigoureuse, tout en insinuant que la sérialité peut fort bien s’accommoder de l’unicité.

Son abstraction est originale en ce qu’elle semble se placer délibérément à la croisée du pop art, pour les couleurs acidulées et une intense fraîcheur du tableau, et de l’op art, pour les jeux graphiques et visuels très précis, sans non plus masquer quelque influence orientale : la mondialisation évoquait-on ! Le graphisme d’ailleurs occupe une part non négligeable dans la pratique de Sakai, puisqu’il est chargé du design de la revue Plural fondée en 1971 par Octavio Paz, cela durant ses deux premières années de parution ; il interviendra tant sur la couverture que dans les pages intérieures.

Inspiration musicale
Mais Sakai est également mélomane, et c’est la musique qui va lui inspirer sa série la plus célèbre, dite des « Ondulations », commencée en 1975. Jouant de la variation entre cercles et courbes faite de bandes de couleurs superposées sur des fonds monochromes, il rend là hommage aux maîtres de la musique contemporaine (Xenakis, Stockhausen, Ligeti…) comme aux grands noms du jazz (Miles Davis, John Coltrane…). Dans ces compositions subtilement fluctuantes, la couleur est toujours primordiale.

Est bienvenu également un post-scriptum à l’exposition, qui en déployant dans une ultime salle un aréopage des principaux acteurs de cet art géométrique et coloriste latino-américain, en rappelle l’importance et l’originalité. Le visiteur y croise des figures attendues tels Julio Le Parc, Carlos Cruz-Diez, Gunther Gerzso, Manuel Felguérez ou Vicente Rojo – lequel fut de l’aventure du mouvement impulsé par Sakai –, mais aussi quelques autres qui sont un peu moins dans les écrans radars comme Alejandro Otero ou Eduardo Vásquez. Et surtout Helen Escobedo, dont est donné à voir une étonnante installation en bois de 1970 mêlant peinture et sculpture.

KAZUYA SAKAI

Commissaire : Daniel Garza Usabiaga
Nombre d’œuvres : environ 100

KAZUYA SAKAI EN MÉXICO (1965-1977). PINTURA-DISEÑO-CRÁTICA-MÚSICA

Jusqu’au 12 mars, Museo de art moderno, paseo de la reforma y gandhi, s/n bosque de chapultepec, México, Mexique, tél. 52 55 86475530, www.museoartemoderno.com, tlj sauf lundi 10h15-17h30, entrée 60 MXN (2,70 €). Catalogue, éd. MAM, 56 p.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Kazuya Sakai, une géométrie débridée

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