Kangxi, l’empereur Soleil

L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 753 mots

Voilà souverain qui « devrait être donné pour modèle à tous les Rois ». En ce XVIIIe siècle débutant, c’est ainsi qu’en France on encense Kangxi, l’empereur de la lointaine Chine. Les louanges adressées à ce monarque si remarquable dissimulent à coup sûr une critique en creux de son illustre contemporain, Louis XIV, qui vient de disparaître. Mais de Kangxi, qui a régné si longuement sur cet empire, florissant et puissant, quelle qualité n’a-t-on pas louée ?
Le despote éclairé est fin lettré. L’homme est omnipotent mais tolérant. Son jugement, doublé d’un grand sens pratique, s’enrichit d’une grande maîtrise de soi et d’une mémoire sans faille. Aujourd’hui encore, Kangxi passe pour avoir été, de 1661 à 1722, l’un des plus grands dirigeants que la Chine a connu. Alors qu’il délaisse momentanément ses palais de la Cité pourpre interdite de Pékin pour prendre part en France aux manifestations de l’année de la Chine, cet empereur aux dix mille vertus ne pouvait donc être accueilli ailleurs que dans la plus prestigieuse des demeures royales. Avant que, l’an prochain, Louis XIV aille à son tour prendre ses quartiers dans la Cité interdite.
Le Fils du ciel, reçu chez le Roi-Soleil, se dévoile à travers quelque trois cent cinquante œuvres d’art, bibelots et ouvrages littéraires, vêtements, armes ou tableaux. Certains de ces trésors sortent des collections de Guimet, du Louvre ou encore de la Bibliothèque nationale. Surtout « nous bénéficions d’un prêt important de deux cents objets provenant de la Cité interdite, précise Pierre Arizzoli-Clémentel, directeur général de Versailles et commissaire général de cette exposition. Nous profitons d’efforts particuliers car des objets sortent pour la première fois de Chine. »
De grands portraits invitent ainsi à faire plus ample connaissance avec le deuxième souverain des Qing, cette dynastie mandchoue qui s’était emparée des rênes du pouvoir en 1644. Monté sur le trône à l’âge de six ans, le prince Xuanye devenu l’empereur Kangxi – plus qu’un nom une véritable promesse de « paix » et « prospérité » – apparaît pour la postérité sous les traits d’un jeune homme sérieux à l’étude et amoureux de l’art quasi sacré de la calligraphie, maniant le pinceau avec application pour tracer chaque jour mille caractères. C’est encore un homme mûr arborant
la sobre tenue bleue des lettrés. Un gage pour ce souverain, étranger puisque mandchou, de son attachement à la culture classique chinoise. L’empereur ne manqua pas de lancer de grands chantiers intellectuels dont le Kangxi zidian, le « dictionnaire de l’ère Kangxi », formidable compilation de quarante-deux mille caractères de la langue chinoise.
Mais les représentations officielles, frontales et très idéalisées donnent à l’homme l’air impavide et ne rendent peut-être pas justice à cet empereur que l’on disait grand, plus que la moyenne de ses contemporains, et bien proportionné, aux traits réguliers et au nez légèrement aquilin et dont les yeux vifs reflétaient l’intelligence aiguë. Le monarque, ainsi, avait de la majesté. Il en imposait à coup sûr quand il endossait une de ces très impériales robes de soie jaune brodées de dragons, et plus encore lorsqu’il arborait cette impressionnante armure d’apparat, toute d’étoffes brodées et lestées de petites pièces métalliques, et coiffait son casque de cuir et de laque surmonté d’une grosse perle.
Ces objets, tout comme le trône impérial ou ces rouleaux peints qui brossent sur des dizaines de mètres de soie par exemple tous les détails des voyages d’inspection de Kangxi dans le Sud, racontent l’homme de pouvoir. L’esthète se trahit par la finesse des laques, des jades et des céramiques de sa collection quand instruments de mesures et autres globes terrestres évoquent l’esprit curieux d’un souverain formé à l’école des jésuites.
Le mandat du ciel avait fait de lui le maître du calendrier et le grand ordonnateur du cycle des saisons. Apportant à Kangxi des méthodes de calcul occidentales plus précises en matière d’astronomie, les missionnaires s’attirèrent donc le respect tout autant que la protection du maître de la Chine. Eux aussi auront tenté de satisfaire la grande soif de connaissances de cet empereur si insatiable. Un grand souverain, donc, mais qui n’était toutefois pas dénué de quelque faiblesse coupable. Kangxi manqua de fermeté quand vint l’heure de désigner son héritier et la fin de ce règne intelligent fut ternie par les querelles de succession.

« Kangxi, Empereur de Chine – la Cité interdite à Versailles», VERSAILLES (78) château, tél. 01 30 83 78 01, 28 janvier- 9 mai. Cat. 300 p., 39 euros ; Le Gengzhitu, Le Livre du manuscrit et de la soie, Lattès.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Kangxi, l’empereur Soleil

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