Art ancien

Jost Haller, artiste modèle

À Colmar, révélation d’un peintre alsacien du XVe siècle

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 28 septembre 2001 - 790 mots

Peintre à Strasbourg puis en Lorraine au milieu du XVe siècle, Jost Haller appartient à cette génération oubliée qui a précédé Martin Schongauer. Pourtant, comme entend le démontrer l’exposition du Musée d’Unterlinden, cet artiste a exercé une influence durable sur la peinture dans la région du Rhin supérieur, développant un style empreint de douceur et de sérénité, sensible aux nouveautés flamandes.

COLMAR - À quoi songe saint Georges lorsqu’il occit le dragon ? Le regard mélancolique, il semble en effet absent à l’action qu’il accomplit comme avec négligence. Caractéristiques de l’art de Jost Haller, de tels personnages aux grands yeux rêveurs peuplent également la partie droite de ce Retable du Tempelhof de Bergheim, peint vers 1445 pour les hospitaliers de Saint-Jean. En effet, sur ce même panneau coexistent deux scènes apparemment étrangères l’une à l’autre : à gauche, une Prédication de saint Jean-Baptiste, à droite, un Combat de saint Georges contre le dragon. Conservée dans les collections du Musée d’Unterlinden depuis la Révolution, cette œuvre surprenante, longtemps attribuée au jeune Martin Schongauer, a constitué le point de départ de l’exposition conçue par Philippe Lorentz, conservateur au Louvre, et par Sylvie Lecoq-Ramond, conservatrice du musée colmarien.

Redécouvert en 1980 par Charles Sterling, Jost Haller est le seul peintre strasbourgeois avant Hans Baldung dont l’œuvre a été identifié. Maître à Strasbourg à partir de 1438, il répond à diverses commandes en Lorraine entre 1447 et 1450, avant de s’y installer. À Sarrebruck, il devient le peintre attitré des comtes de Nassau-Sarrebrücken. La forte concurrence qui régnait dans la capitale alsacienne n’est sans doute pas étrangère à ce déménagement. Non seulement oubliée, la peinture de Jost, comme celle de ses contemporains, est sortie décimée de la crise iconoclaste qui frappe le monde germanique au XVIe siècle. Aujourd’hui, seuls six panneaux peints lui sont attribués, dont une Crucifixion entrée l’an dernier au Musée d’Unterlinden. Les quatre autres appartenaient à un même retable, dit des Chevaliers teutoniques de Sarrebruck, et représentent la Visitation et la Décollation de saint Jean-Baptiste, l’Annonciation et la Nativité. On y retrouve la même vivacité du coloris, des attitudes gracieuses mais sans affectation, des visages au bel arrondi, empreints d’une expression à la fois sereine et songeuse. Si le Retable de Stauffenberg indique un rayonnement précoce de l’art de Jost Haller, la présence du Retable de Jean d’Orlier rappelle  son influence sur la génération suivante, en l’occurrence sur Martin Schongauer.

La diffusion des modèles
Au petit noyau de tableaux de Jost Haller vient opportunément s’ajouter Le Livre de prières de Lorette d’Herbeviller (1470), conservé à la Bibliothèque nationale. Par un heureux hasard, la reliure de ce manuscrit nécessitant une restauration, les feuilles ont été détachées et toutes les enluminures de Jost Haller peuvent donc être présentées dans l’exposition. À l’instar de ses confrères, ce peintre pratiquait son art sur toutes sortes de supports, du panneau au livre en passant par les parois d’églises ou les cartons de vitraux. Sensible aux nouveautés introduites par les artistes flamands, il représente une série de saints en pied, soit dans un paysage, soit dans un intérieur en perspective. Peindre quarante figures en évitant la monotonie constituait une véritable gageure, que l’artiste a relevée avec talent. Chacune des miniatures offre un “portrait” du saint, peint avec ses attributs mais hors du contexte narratif de sa légende. Il sait aussi alterner la richesse ornementale (Sainte Lucie) et le dépouillement ascétique (Saint Maur).

À travers l’accrochage apparaissent les modes de production et de circulation de l’image. Avant l’invention de l’imprimerie, les artistes avaient l’habitude de s’inspirer de feuilles de modèles, des dessins copiés d’après des tableaux ou d’autres dessins. Comme le suggèrent les œuvres rassemblées en regard de la sainte Dorothée du Livre de prières, Jost Haller a parfois procédé ainsi, mais il a surtout mis au point un certain nombre de types iconographiques, comme cette élégante jeune femme, ornant une feuille de modèle qui reprend l’attitude de la princesse dans le Retable de Bergheim. Dans cette même œuvre, deux figures entourant saint Jean-Baptiste présentent pour leur part de troublantes analogies avec un dessin attribué au Maître des études de draperies. La mise en parallèle de la Visitation de Jost Haller et de la même scène sur un vitrail d’origine strasbourgeoise, ou encore la confrontation de l’enluminure de saint Sébastien avec une sculpture haut-rhénane et une gravure du Maître E. S., de même sujet, indiquent, si besoin était, le réseau complexe d’échos et de correspondances, d’imitation et d’invention, au sein duquel s’insèrent ses œuvres.

- JOST HALLER, LE PEINTRE DES CHEVALIERS, jusqu’au 16 décembre, Musée d’Unterlinden, 1 rue d’Unterlinden, 68000 Colmar, tél. 03 89 41 89 23, tlj 9h-18h, puis tlj sauf mardi 10h17h à partir du 2/11. Catalogue par Philippe Lorentz, 224 p., 220 ill., 220 F.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°133 du 28 septembre 2001, avec le titre suivant : Jost Haller, artiste modèle

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