Jeff Rosenheim : Walker Evans, la couleur inédite

De nouvelles images ont été retrouvées dans les archives du photographe

Le Journal des Arts

Le 4 février 2000 - 924 mots

Walker Evans a déjà bénéficié de plusieurs rétrospectives. Celle organisée par le Metropolitan Museum of Art, à New York, qui couvre l’ensemble de sa carrière en 175 images, offre l’intérêt de s’appuyer sur les archives du photographe, acquises en 1994. Elle présente ainsi une cinquantaine de diapositives inédites et reprend également les photographies réalisées par Evans en 1935, à partir de sculptures africaines.

NEW YORK (de notre correspondant) - Le nom de Walker Evans (1903-1975) évoque surtout les visages décharnés des fermiers de l’Alabama, à l’époque de la Dépression. Prises au cours de l’été 1936, ces photographies ont paru en 1941, avec un texte de James Agee, dans Let Us Now Praise Famous Men (Éloge des hommes célèbres), mais ont été ignorées du public d’alors, préoccupé par la guerre. L’œuvre d’Evans ne se résume pourtant pas à ses images des États du Sud. Il s’est aussi intéressé à New York, à son architecture, à ses affiches, à la publicité, à la réalité quotidienne de cette grande métropole. L’appareil caché sous sa veste, pour “voler” des images et brouiller les notions d’observateur et d’observé, il a ainsi réalisé, entre 1938 et 1941, des séries sur le métro de New York qui ont été publiées en 1966 sous le titre Many are Called. Evans avait fait des études littéraires, à la Sorbonne en particulier, et avait envisagé, avant de découvrir les photographies de Paul Strand, de devenir romancier. Auteur de talent, il a rédigé pour Time Magazine des articles sur l’art (1943-1945), mais a refusé un poste de critique d’art au New York Times. Ses photographies pouvaient avoir la même force narrative qu’un essai. Evans a travaillé de 1945 à 1965 pour Fortune, où il a publié quelque 40 portfolios et essais photographiques accompagnés de ses propres textes. Ce travail est présenté dans l’exposition. Après avoir quitté ce magazine, il a enseigné la photographie à l’université de Yale, assez longtemps pour y devenir le gourou de la nouvelle génération qui dévorait Let Us Now Praise Famous Men dans les années soixante.
Du 16 mars au 26 juillet, le Museum of Modern Art (MoMA), où ses photographies ont été exposées dès 1938, retracera ses influences avec “Walker Evans and Company”. Dans l’entretien ci-dessous, Jeff Rosenheim, commissaire de l’exposition du Met, explique l’originalité de cette nouvelle rétrospective.

Les archives contiennent-elles des révélations pour ceux qui connaissent bien l’œuvre d’Evans ?
Pour chaque décennie, on découvrira des photographies inconnues, passionnantes, surtout par le lien qu’elles ont avec ses images classiques, déjà publiées dans de nombreuses expositions et catalogues. Nous utilisons également les archives pour montrer des photographies qui n’ont jamais été vues du public, comme l’album Pictures of the time constitué par Evans et James Agee en 1930 – des photographies tirées de Life et Time Magazine, ainsi que de quelques revues d’art –, qui est une synthèse de l’imagerie, de la culture populaire et des médias à l’époque où Evans s’est fait connaître. Ce ne sont pas des photographies, seulement des reproductions de photographies et de coupures de presse. Mais nous montrons aussi son travail pour Fortune. Nous avons également choisi une cinquantaine de diapositives parmi ses vingt années de photographie en couleur, de 1945 à 1965, ce qui représente un quart de sa production. Elles sont projetées à un rythme lent par un appareil à fichier numérique et n’ont jamais été montrées.

Pourquoi montrez-vous ces images en couleur dans un diaporama ?
Ce sont des matériaux dont il n’existe pas de tirage, des diapositives Kodachrome et Ektachrome réalisées pour Fortune ou pour des raisons personnelles, et qui composent un ensemble exceptionnel. Plutôt que d’en faire des tirages, nous avons opté pour le diaporama, qui nous a paru un système de présentation efficace et intéressant.

Qu’ont-elles de particulier ?
Pendant des dizaines d’années, Evans a vu le monde en noir et blanc. Mais bien qu’il ait déclaré que la couleur était vulgaire, il a fini par s’intéresser de près à ce médium et a obtenu avec les Kodachromes des tons très richement saturés. Dans les années quarante, il a commencé à photographier en couleur les paysages qu’il avait déjà pris en noir et blanc. Ces images montrent les directions simultanées dans lesquelles il s’engageait. Elles sont fascinantes.

Par ailleurs, le Met montre cinquante photographies qu’Evans a faites d’objets et de sculptures figurant dans l’exposition “African Negro Art” au Museum of Modern Art, en 1935.
Le MoMA ayant déjà établi un catalogue de l’exposition, il a proposé à Evans de créer un portfolio spécial, réalisé, malheureusement, pendant que les objets étaient exposés. Il n’a donc pas pu les photographier en studio, mais, de toute façon, Evans ne travaillait pas en studio. Et il n’avait qu’une expérience limitée de la photographie d’œuvres d’art, qu’il avait un peu pratiquée avec le peintre Ben Shahn ou pour quelques galeries de New York. En plaçant l’éclairage derrière l’appareil, il a mis au point une technique pour éviter de projeter des ombres de part et d’autre des figurines, au-dessus ou en dessous : les objets semblaient illuminés et détachés de leur environnement. Ces images ne constituaient pas un premier ouvrage de documentation sur l’art africain, mais une exposition importante, à une époque où l’on commençait à inscrire ces objets dans une tradition esthétique, et pas seulement ethnographique.

- WALKER EVANS, jusqu’au 14 mai, Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 535 7710, tlj sauf lundi 9h30-17h30, vendredi et samedi 9h30-21h. Internet : www.metmuseum.org. Puis, Museum of Modern Art, San Francisco, 2 juin-12 septembre, et Museum of Fine Arts, Houston, 17 décembre-4 mars 2001.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°98 du 4 février 2000, avec le titre suivant : Jeff Rosenheim : Walker Evans, la couleur inédite

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