Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Jean-Luc Moulène et le creuset alchimique

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2018 - 507 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

À La Verrière à Bruxelles, la sobriété de l’accrochage contraste avec les forces déstabilisatrices mises en jeu.

Jean-Luc Moulène, diptyque <em>Sous-chromes</em>, 2017, peinture à l’huile sur goudron sur panneau, 2 x (51 x 40,5 x 5 cm)
Jean-Luc Moulène, diptyque Sous-chromes, 2017, peinture à l’huile sur goudron sur panneau, 2 x (51 x 40,5 x 5 cm)
Photo Émile Ouroumov
Courtesy Galerie Greta Meert

Bruxelles. Après une exposition au Centre Pompidou où le parti pris était d’emplir l’espace d’étranges et volumineuses sculptures, à La Verrière, Jean-Luc Moulène a privilégié les petits formats et les objets en deux dimensions, dans un accrochage des plus sobres. Au premier coup d’œil, rien ne détonne. On aperçoit des photographies, des monochromes, des miroirs… Plane un sentiment de quasi-vacuité. Mais ce serait mal connaître Moulène que de s’en tenir à cette première impression. Derrière le calme, la tempête. « L’art n’est pas un espace pacifié, c’est un espace de conflit. S’il n’y a pas de conflit à l’œuvre dans une œuvre, cela ne sert à rien, c’est juste décoratif », affirme l’artiste qui, presque vingt ans plus tôt, réalisait sa fameuse série photographique des « Objets de grève » façonnés par des grévistes.

Ses nouvelles productions intitulées « Sous-chromes » – des peintures monochromes présentées en diptyque – offrent des surfaces en tension. Chaque diptyque est constitué d’un panneau de bois peint à l’huile avec une couche de noir recouverte d’une couleur (rouge, bleu, vert, jaune) et d’un autre panneau où la peinture noire est remplacée par du goudron qui, peu à peu, contamine la couleur. Cette confrontation entre une matière vile et une autre noble conduit, sous l’effet de la température, à des métamorphoses dont l’issue reste incertaine pour les décennies à venir. Tel un condensé de violence, la métaphore d’une menace sous la forme d’une balle de mitraillette posée sur une lame de rasoir – une minuscule sculpture des années 1970 – interrompt la succession de ces monochromes.

Empreinte de champignons

« J’expérimente la projection de la pensée dans la matière », confie Moulène au commissaire, Guillaume Désanges. L’artiste recueille l’empreinte de champignons par simple contact sur des feuilles en papier, obtenant des paysages aux allures stellaires presque mystiques.

Adepte des points de suspension, il présente également trois photographies qui pourraient bien conduire vers le champ de la métaphysique. Dans deux d’entre elles, noir et blanc, la couche nuageuse d’un ciel bas et lourd d’Auvergne semble avoir été criblée d’impacts de balles. Dans une autre, en couleur cette fois-ci, une échelle posée contre un arbre dessine un trait d’union entre le ciel et la terre, comme l’échelle du livre Mutus Liber de l’alchimiste médiéval Altus, que l’artiste cite volontiers.

Rien chez Moulène ne s’impose jamais avec évidence. Lui qui revendique l’importance de « s’intéresser à ce que l’on ne comprend pas » préfère les zones d’ombre à la lumière, le questionnement à la certitude. Deux immenses machines « célibataires » sur roulettes recouvertes de miroirs circulent entre les quatre murs de La Verrière, démultipliant les perspectives et dématérialisant l’espace. Tandis que les murs s’effacent, les œuvres, dont on aperçoit subrepticement le reflet, se transforment en images virtuelles… Manière de prolonger la réflexion sur la place de l’art dans le monde dématérialisé et robotisé au sein duquel nous baignons un peu plus chaque jour.

Jean-Luc Moulène, En angle mort,
jusqu’au 31 mars, La Verrière, 50 bd de Waterloo, Bruxelles, fondationentreprisehermes.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°497 du 16 mars 2018, avec le titre suivant : Jean-Luc Moulène et le creuset alchimique

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