Art ancien - Collection

Jean Hey, Le Triptyque de Moulins

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 27 octobre 2025 - 1223 mots

Chef-d’œuvre du Maître de Moulins, à l’aube du XVIe siècle, le retable restauré prend place au Musée du Louvre, du 26 novembre au 4 mars 2026, en regard des autres œuvres du peintre d’origine flamande et de celles de la collection de l’institution.

Voilà près d’un siècle que le Triptyque de Moulins n’avait été exposé à Paris. Pour admirer ce chef-d’œuvre de la peinture française du XVe siècle, représentant une Vierge de l’Apocalypse entourée d’anges, encadrée par les portraits des commanditaires de l’œuvre, les ducs de Bourbon, il fallait aller se recueillir dans la cathédrale de Moulins (03). C’est dans cette ville, capitale de leur duché, qu’Anne de France, fille de Louis XI et sœur de Charles VIII dont elle avait été régente, et son époux Pierre II de Bourbon, commandèrent à la fin du XVe siècle ce triptyque à Jean Hey (vers 1455-1505), le plus génial des peintres français de cette époque, attaché à leur cour. En 1498, en effet, Louis XII monte sur le trône. Bien qu’ils aient obtenu de ce dernier la garantie que le duché serait transmis à leur fille Suzanne en l’absence d’un héritier mâle, les ducs de Bourbon tiennent à renforcer la légitimité de cette fille unique. S’ils entendent aussi témoigner de leur piété, « il s’agit surtout d’une œuvre politique », affirme Sophie Caron, conservatrice des peintures des XIVe et XVe siècles au Louvre et responsable scientifique de la restauration de cette œuvre. Ce triptyque monumental, qui s’inscrit dans la grande tradition flamande, tout en reprenant des codes de la peinture italienne représentant alors la modernité, trônait sans doute au-dessus du maître-autel, dans le chœur de la collégiale de Moulins. Quand Prosper Mérimée, alors inspecteur général des monuments historiques, redécouvre cette œuvre charnière témoignant du passage du Moyen Âge à la Renaissance, dans la collégiale devenue cathédrale, en 1838, celle-ci a été démontée en trois parties, et les volets latéraux ont été découpés. L’œuvre est rassemblée puis exposée dans la sacristie des évêques, pendant plus d’un siècle et demi. En 2022, elle rejoint le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) pour une restauration d’envergure, en partenariat avec la Drac Auvergne Rhône-Alpes. À partir du 26 novembre, le Triptyque de Moulins restauré est exposé au Louvre. Il sera ensuite présenté au monastère royal de Brou, à Bourg-en-Bresse (01), puis au Musée Anne-de-Beaujeu à Moulins, avant de retrouver en 2027-2028 la sacristie des évêques, elle aussi restaurée pour l’accueillir.

Un alchimiste des couleurs

Nettoyées, les couleurs des panneaux, que l’on observait sous un vernis jauni, ont retrouvé leur intensité et leur éclat, et la bronzine qui recouvrait le halo a été retirée. Si les pigments de la composition – lapis-lazuli, vermillon, jaunes de plomb et d’étain, azurite ou vert au cuivre – sont caractéristiques de son époque, Jean Hey, longtemps désigné comme le « Maître de Moulins », mélange les pigments comme il superpose les couches de couleurs. « Il expérimente beaucoup », observe Dominique Martos-Levif, qui a piloté la restauration de l’œuvre au sein du C2RMF. Ainsi, pour le halo entourant la Vierge, il s’est avéré que le peintre avait utilisé de l’or parti, c’est-à-dire des feuilles d’or et d’argent martelées ensemble. « Ces feuilles ont été recouvertes d’un glacis, qui est normalement une couche de finition, lui-même recouvert d’une couche de préparation à la dorure et d’une nouvelle feuille d’or… comme s’il avait tout recommencé ! A-t-il changé d’avis ? Cherché un effet de brillance ? Peut-être », s’interroge Dominique Martos-Levif. Par ailleurs, Jean Hey allie une palette très claire – par exemple, dans les bleus et les roses des anges – à des contrastes durs, acides, audacieux, comme dans les vêtements des anges orange et roses, ou les nuées, roses et brunes.

Une Vierge en gloire dans la tradition flamande

« Elle est vêtue de soleil, Elle a la lune sous les pieds, Elle a mérité d’être couronnée de douze étoiles », indique le phylactère au pied de la Vierge de l’Apocalypse, pour laquelle les ducs de Bourbon avaient une vénération particulière. Avec son front bombé et ses yeux en amande, elle est caractéristique des personnages de Jean Hey, peintre à la cour des ducs de Bourbon. À travers la composition du triptyque et son souci du détail dans la représentation de sa chevelure, de ses vêtements, des bijoux de sa couronne et des perles de ses broches que sculpte la lumière, l’artiste formé par Hugo Van der Goes (1440-1482), à Gand et fin connaisseur de Jan Van Eyck, Rogier Van der Weyden et Hans Memling, s’inscrit dans la tradition flamande. « Il existait à la cour des Bourbons un petit diptyque de Rogier Van der Weyden ou de son atelier, avec le même halo, le même siège curule, la même position de l’Enfant Jésus », souligne Sophie Caron. Ce dernier désigne ici Pierre II de Bourbon. Si les ducs de Bourbon affichent leur piété, ils affirment aussi ici leur pouvoir terrestre.

Mise en scène des ducs de Bourbon

Richement vêtus, parés de magnifiques bijoux et d’un manteau d’hermine, les commanditaires du triptyque, Pierre II de Bourbon et Anne de France, sœur de Charles VIII et fille de Louis XI, sont ici représentés de façon quasi royale. Le duc de Bourbon, couronné du chapeau ducal, est présenté par son saint patron, saint Pierre, vêtu en pape, et Anne de France, par sainte Anne. Derrière elle, se tient la fille unique du couple, Suzanne, héritière du duché. Pendant la campagne de restauration, l’imagerie a révélé que cette dernière était initialement coiffée d’un bonnet, remplacé par une couronne – une façon d’affirmer la continuité du pouvoir des Bourbons à la tête du duché. Ces derniers sont ici représentés priant au sein de ces « chapelles de textile » qui, au XVe siècle, offraient un lieu d’intimité au sein d’une église et permettaient d’abriter la prière des personnes nobles. « Ici, aucune ouverture sur l’architecture ne permet d’ancrer la scène dans un cadre réel. L’espace apparaît ainsi comme un amas de couleurs, entre l’église terrestre et le ciel de la Vierge », observe Sophie Caron.

Un cadre italianisant, élément d’une œuvre totale

Au XVe siècle, le panneau est peint dans son cadre, indissociable de la peinture. Il constitue un élément d’une œuvre totale, créée pour un lieu et censée faire une forte impression sur le spectateur. « Ici, il forme en quelque sorte un second halo autour de la Vierge », souligne Sophie Caron. Librement inspiré des modèles italiens, il a sans doute été dessiné par le peintre lui-même. La restauration a permis de retrouver la polychromie du cadre central, révélée par des sondages sous la dorure qui la recouvrait depuis le XIXe siècle. Les cadres des panneaux latéraux, quant à eux, n’étaient pas d’origine. Ils ont été à présent remplacés par des cadres sobres, sans décor, contrastant avec celui du panneau central, comme dans le Triptyque du Buisson ardent de Nicolas Froment (1476), peintre qui eut le même maître que Jean Hey, et dont le triptyque est l’un des rares à avoir conservé ses cadres d’origine. « Les cadres matérialisent aussi la frontière entre le monde, terrestre, des donateurs, et celui, céleste, de la Vierge », observe Dominique Martos-Levif.

 

Vers 1455
Naissance aux Pays-Bas
Durant l’enfance
Élève de Hugo Van der Goes
Début de la décennie 1480
S’établit en France
Fin 1480-1490
Entre à la cour des Bourbon à Moulins
1500-1501
Peint son chef-d’œuvre, le
Triptyque de Moulins
Vers 1505
Décès
« Le Triptyque de Moulins »,
Musée du Louvre, rue de Rivoli, Paris-1er, du 26 novembre au 4 mars 2026, www.louvre.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°790 du 1 novembre 2025, avec le titre suivant : Jean Hey, Le Triptyque de Moulins

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