Jean-François Jarrige : Certaines pièces sont entrées à Guimet comme par « miracle »

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 27 septembre 2007 - 957 mots

Jean-François Jarrige revient sur ses longues années de complicité avec les collectionneurs, galeristes, marchands et grands patrons qui ont, selon lui, contribué à combler les lacunes du musée.

Voilà vingt ans qu’Hubert Landais vous a confié les rênes du musée Guimet. Il vous aurait alors demandé de réveiller cette institution. Quels ont été vos premiers objectifs ?
Jean-François Jarrige : Le constat que j’ai tout d’abord dressé était que le musée possédait des collections très riches, mais qui avait vieilli. Un premier travail a porté sur les réserves. Grâce aux nouvelles méthodes scientifiques d’analyse, nous nous sommes rendu compte que nous possédions d’authentiques chefs-d’œuvre qu’il conve­nait de réhabiliter et de présenter.
Par ailleurs, ma feuille de route était d’essayer de faire de ce lieu un musée unique dans le domaine des arts asiatiques. Non pas un simple rassemblement de belles pièces, mais un lieu de réflexion. L’idée de construire des itinéraires afin d’illustrer les échanges artistiques et spirituels dans toute l’Eurasie orientale, de l’Inde au Japon, s’est alors imposée. Or, pour illustrer ce propos, il nous manquait des pièces essentielles, des jalons.

Quelles ont été, précisément, les principales lacunes à combler et comment vous y êtes-vous pris ?
Étant archéologue et protohistorien, j’avais la chance de ne pas être pris par des intérêts personnels ou des préjugés portant sur telle ou telle civilisation. Il m’a donc été plus facile de prendre conscience des réelles faiblesses du musée dans certains domaines. Ainsi, nous manquions cruellement de grandes signatures tant dans la peinture chinoise que japonaise.
Nos collections en matière de calligraphie étaient également très pauvres. Il fallait donc créer une politique de relations amicales avec les galeries d’art et le monde des marchands, grâce auxquels on accède à celui des collectionneurs. Or, les collectionneurs sont toujours sensibles au fait que les conservateurs partagent avec eux la même passion. De ce climat d’échanges mais aussi de saine émulation – plus un musée est actif, plus le commerce de l’art est actif – sont nées de belles donations. Le photographe et cinéaste hong-kongais Yonfan Manshih a ainsi permis l’entrée dans nos collections de plusieurs œuvres d’artistes célèbres de l’époque des Ming, ainsi que de peintres du XXe siècle.
Plus émouvant encore, Norbert Lagane, un simple particulier épris de culture japonaise, a offert en 2001 au musée une dizaine de peintures, dont le magnifique Dragon dans les nuages du grand Hokusai ainsi qu’une centaine d’estampes.
Un de nos autres objectifs était de présenter au public une vision plus complète des arts de l’Inde, qui semblaient s’achever avec l’avènement de l’islam. Grâce à l’exceptionnelle donation de Krishnâ Riboud, un splendide ensemble de textiles (près de 4 000 pièces !), de bijoux et d’orfèvrerie d’époque moghole est venu combler ce vide béant.
Le peintre coréen Lee Ufan s’est montré, lui aussi, d’une immense générosité en offrant au musée quelque cent vingt-sept peintures et paravents de sa propre collection. Par ce don, le musée Guimet possède l’ensemble d’art coréen le plus riche en dehors de la Corée et du Japon. (L’architecte Itami Jun devait, à son tour, faire entrer au musée de magnifiques céramiques ainsi que des paravents.) Pour résumer, le département Corée ne représentait, avant la fermeture du musée en 1996, que 35 m2, il occupe à présent 400 m2…

Vous revendiquez aussi des liens étroits avec le monde des entreprises qui, grâce à la loi de 2003 sur le mécénat, se sont montrées, elles aussi, particulièrement généreuses. Pouvez-vous citer quelques pièces entrées dans les collections du musée grâce à certaines de ces sociétés ?
Le musée Guimet, en effet, a engagé dès le début des années 1990 des partenariats étroits avec des banques – Indosuez, puis Crédit Agricole –, mais aussi de grandes entreprises, telles Areva, Vinci, Suez, LVMH. Se sont ainsi rencontrés des mondes qui, d’ordinaire, tendaient à s’ignorer. Des liens profonds se sont tissés, et des œuvres majeures ont pu entrer dans les collections du musée. À titre d’exemples – mais ils sont innombrables ! – j’aimerais citer cette monumentale statue en grès rosé d’un Bodhisattva chinois des Wei orientaux (milieu iie-moitié vie siècle) offerte très récemment par le groupe Areva, ou bien encore, de taille plus modeste mais tout aussi précieux, cet éventail du peintre japonais Ogata Kôrin donné par LVMH. Mais je pourrais encore évoquer cette paire de paravents japonais à six volets signée du grand Kanô Sansetsu, un représentant majeur de l’école Kanô, acquise en 2003 grâce au Crédit Agricole…

Au cours de votre longue et féconde carrière, quels souvenirs particulièrement heureux ou émouvants avez-vous gardés ?
J’ai parfois eu le sentiment que certaines œuvres étaient entrées au musée comme par miracle, par enchantement. Comme si elles avaient ardemment souhaité faire partie des collections, participer à l’histoire de Guimet. Je pense notamment à cette stèle bouddhique chinoise des Qi du Nord dont tout le monde s’accordait à penser qu’elle allait battre tous les records d’enchères lors de sa vente chez Sotheby’s Hong-Kong, en 1999. Or le hasard en a décidé autrement. Grâce à l’effondrement passager des bourses asiatiques et la non-flambée des prix provoquée à l’annonce de cette tourmente, cette pièce insigne a pu rejoindre les autres statues et stèles bouddhiques du département chinois. Idem pour ce petit bouddha debout du Gandhara offert par le baron et la baronne Guy et Myriam Ullens. Il n’en existe que quatre ou cinq au monde, et il est là, à Guimet. Un vrai « petit miracle » là encore...

Autour de l’exposition

Informations pratiques « De l’Inde au Japon, 10 ans d’acquisitions au musée Guimet », jusqu’au 13 décembre 2007. Commissaire”‰: Jean-François Jarrigue. Musée national des Arts asiatiques Guimet, 6, place d’Iéna, Paris XVIe. Métro”‰: Iéna, Boissière. RER”‰: Pont de l’Alma. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 10 h à 18 h. Tarifs”‰: 6,50 € et 4,50 €. Tél. 01”‰56”‰52”‰53”‰00.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°595 du 1 octobre 2007, avec le titre suivant : Jean-François Jarrige : Certaines pièces sont entrées à Guimet comme par « miracle »

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