Jake & Dinos Chapman, une obsession mortifère

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 avril 2003 - 368 mots

Si la beauté, l’amour et le paradis figurent parmi les thèmes récurrents de l’histoire de l’art, ceux de l’horreur, de la guerre et de l’enfer n’en sont pas moins exclus et nombreux sont les artistes qui nous en ont laissé des illustrations magistrales. Si les unes sont articulées au regard de faits réels, dans une façon de commentaire le plus souvent critique, les autres sont le pur produit de leur imagination, voire de leurs fantasmes. De Jérôme Bosch à Rebeyrolle, en passant par Callot, Goya et Picasso, l’histoire de l’art est pleine d’images terrifiantes, brutales et grotesques qui sanctionnent la part noire de l’humaine nature. Apparus sur la scène internationale au début des années 1990, les frères Jake & Dinos Chapman, sujets britanniques nés respectivement en 1966 et 1962, ont largement contribué au développement d’une telle iconographie. Leurs mannequins d’enfants nus, diversement accouplés et mutilés, nantis d’organes génitaux jaillissant de leurs corps, leurs dioramas aux motifs macabres et aux orgies de violence autodestructrice décrivent le tragique d’une humanité qui va à sa perte, en rappelant notamment ce qu’il en a été des pires moments de l’histoire. « Nous cherchons à récupérer toutes les formes de terrorisme, avouent les deux artistes, afin d’offrir au spectateur le plaisir d’un certain type d’horreur, d’un certain type de convulsion bourgeoise. » On ne peut mieux dire l’intention qui préside à leur démarche. L’art des Chapman est un art engagé qui, sous le couvert de la recherche d’une « valeur culturelle zéro afin de produire une inertie esthétique » – comme ils le proclament par ailleurs – vise toutefois à mettre en exergue les travers et les excès de la civilisation occidentale. Voire, par-delà, de toute société de l’homme.
Le caractère contingent de leurs travaux, dans cette manière où ils se donnent à voir sous la forme tant de sculptures à dimension humaine que de saynètes animées de figures lilliputiennes, surenchérit le degré d’horreur de ce qu’ils montrent. Tout à la fois rebutant et attirant, l’art des frères Chapman relève d’une qualité esthétique qui tutoie le mortifère et, à ce titre, opère en fascination et en obsession.

DÜSSELDORF, Museum Kunst Palast, Ehrenhof, 4-5, tél. 00 49 211 892 42 42, 1er février-4 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°546 du 1 avril 2003, avec le titre suivant : Jake & Dinos Chapman, une obsession mortifère

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