Découverte

Jacques Stella, l’œuvre ressuscité

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 1 décembre 2006 - 918 mots

Le Musée des beaux-arts de Lyon offre sa première rétrospective à l’un des artistes français les plus importants du XVIIe siècle. Une exposition exemplaire qui rend compte des dernières recherches sur le peintre.

 LYON - Artiste parmi les plus renommés de son époque – celle de Poussin, Vouet et Champaigne –, Jacques Stella (1596-1657) sombra dans l’oubli au fil du XVIIIe siècle avant d’être timidement remis au goût du jour au XXe siècle. Mais il n’avait jamais fait l’objet d’une exposition monographique. Le Musée des beaux-arts de Lyon rend aujourd’hui justice à son talent et lui offre, enfin, sa première rétrospective. Ami et collectionneur de Poussin, l’artiste est longtemps resté dans l’ombre du maître du classicisme, jusqu’à ce que Jacques Thuillier ne publie en 1960 une première étude sur lui. Suivront les travaux d’Anthony Blunt, Pierre Rosenberg, Sylvain Kerspern et Gilles Chomer. Spécialiste du XVIIe français, ce dernier, avec ses étudiants de l’Université de Lyon, lança un vaste programme de recherches sur Stella, qui devait aboutir à une exposition et une publication. Décédé en 2002, Gilles Chomer ne pourra mener à bien ce projet. C’est son ami Sylvain Laveissière, conservateur au Musée du Louvre, qui, à la demande du Musée des beaux-arts de Lyon, a, aujourd’hui, repris le flambeau. Près de 200 œuvres, peintures, dessins et gravures, révèlent un artiste pluriel d’une extrême délicatesse, trop longtemps ignoré du grand public. « Stella incarne beaucoup de peintres à la fois : auteur de petites gravures et de retables monumentaux, chroniqueur de la vie populaire, peintre religieux engagé, illustrateur de talent… Il a travaillé sur une grande variété de pierres comme l’onyx, le lapis ou le marbre dont les veinures participent au décor », précise Sylvain Laveissière. Aux côtés de nombreux prêts publics et privés, français (Musée du Louvre, musées des beaux-arts de Nantes, Nancy et de Dijon, Musée Georges de la Tour à Vic-sur-Seille) et internationaux (Musée du Prado à Madrid, Kunsthistorisches Museum de Vienne, County Museum of Art de Los Angeles…), l’institution lyonnaise dévoile les huit tableaux et trois dessins du peintre qu’elle possède. Parmi eux, figurent deux acquisitions réalisées cette année : Sémiramis appelée au combat (1637), illustrant une parfaite maîtrise de la peinture sur pierre dure, et La Sainte Famille visitée par sainte Elisabeth, Zacharie et saint Jean-Baptiste ; Dieu le Père, le Saint-Esprit et des angelots portant les instruments de la passion, une huile et or sur cuivre à l’iconographie étonnante. Si la représentation de la croix portée par des anges apparaissant à l’enfant Jésus est commune, il est très rare de voir réunies les familles du Christ et de saint Jean.
Des plus subtils, l’accrochage permet de confronter les œuvres entre elles et de capter la richesse stylistique d’un artiste très expressif, « peintre de la douceur, mais aussi de la rigueur géométrique » tel que le définit Sylvain Laveissière, précisant : « Stella n’est pas prisonnier d’une manière unique, chaque sujet induit son caractère, sa couleur, ses types physiques ». La manifestation permet de belles retrouvailles. Les trois versions, sur bois, sur pierre et sur cuivre, de l’émouvante Sainte Marie-Madeleine pénitente se trouvent ici réunies tandis que Le Christ bénissant rejoint son pendant, La Vierge. Ces deux petites huiles sur toile de 1647, appartenant à des particuliers, empruntent le grand style des tableaux d’histoire et des retables. Les œuvres monumentales, telles que Jésus retrouvé par ses parents dans le Temple (1641-1642) ou Le Baptême du Christ, trônent dans le vaste espace du rez-de-chaussée pour évoquer la peinture d’église à l’époque de la Contre-Réforme. Une section entière est dévolue aux relations de Stella avec Poussin qu’il admire sans jamais le pasticher. En témoigne L’Enlèvement des Sabines, une ambitieuse réponse aux tableaux de Poussin sur ce thème.

Des œuvres éparses
Outre le plaisir de découvrir les œuvres de Stella au Musée des Augustins, de mars à juin prochain, l’on appréciera l’impressionnant Mariage de la Vierge (1649-1650). Ce carton de tapisserie destiné à Notre-Dame de Paris n’a pu faire le déplacement à Lyon en raison de sa grande fragilité, tout comme L’Assomption de Pastrana, premier tableau daté de Stella, et la Sainte Famille de Glasgow. Manquent également à l’appel : La Libéralité de Titus du Fogg Art Museum de Cambridge et les dessins exécutés pour la Vie de saint Philippe Neri de la Yale University Art Gallery à New Haven. Il faudrait citer encore deux tableaux d’église : La Samaritaine de Notre-Dame de Bercy et Les Pèlerins d’Emmaüs du Musée de Nantes, dans un trop mauvais état de conservation. Si de nombreux Stella sont perdus d’autres ont réapparu chez des privés ou sur le marché de l’art pendant la préparation de la manifestation. Les années à venir pourraient donc réserver quelques belles surprises aux historiens d’art et amateurs de Stella…

JACQUES STELLA (1596-1657)

Jusqu’au 19 février, Musée des beaux-arts, 20, place des Terreaux, 69001 Lyon, tél. 04 72 10 30 30, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h et vendredi 10h30-20h. L’exposition sera ensuite présentée au Musée des Augustins de Toulouse du 17 mars au 18 juin 2007. Catalogue, éd. Somogy, 272 p., 35 euros, ISBN 972-2-7572-0050-X. - Commissaire général : Sylvain Laveissière, conservateur général du Patrimoine au département des peintures du Musée du Louvre - Commissaires scientifiques : Isabelle Dubois, conservateur des peintures anciennes au Musée des beaux-arts de Lyon, Axel Hémery, conservateur des peintures anciennes du Musée des Augustins de Toulouse - Commissaire associé : Mickaël Szanto, historien de l’art - Nombre d’œuvres : 185 - Nombre d’établissements prêteurs : 78 - Nombre de sections : 16

Un peintre du Grand Siècle

De Jacques Stella (1596-1657), on sait peu de choses avant son séjour en Italie (vers 1619-1634) où il rencontre ses premiers succès. D’abord à Florence en tant que graveur, puis comme peintre à Rome où il côtoie le Bernin, Poussin et Vouet. Ses petits formats peints sur pierre semi-précieuse lui apportent de nombreuses commandes. Peu de temps après son retour en France, en 1634, Richelieu le nomme peintre du Roi, avec pension et logement au Louvre. Il réalise alors des œuvres prestigieuses : tableaux pour le château de Richelieu, pour la Chapelle Royale de Saint-Germain-en-Laye, grands retables pour l’église du noviciat des Jésuites, pour Saint-Germain le Vieil, pour les Carmes de Paris ou les cordeliers de Provins. Même après la mort du roi Louis XIII (1643) et celle de Richelieu (1642), il reste au premier plan de la vie artistique et participe au décor de l’oratoire de la régente Anne d’Autriche au Palais Royal. Il consacre la fin de sa vie à former ses neveux et nièces à l’art de la gravure. Parmi eux, Claudine Bouzonnet qui a gravé la série La Passion du Christ ainsi que la suite de cinquante sujets des Jeux et Plaisirs de l’enfance (présentés à Lyon).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Jacques Stella, l’œuvre ressuscité

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