XIXe siècle

Itinéraire d’un enfant gâté

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 708 mots

Le Petit Palais, à Paris, revisite l’œuvre complexe de Jean-Louis Forain, dessinateur et peintre au vitriol.

PARIS - Parmi les dessinateurs de presse de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, Jean-Louis Forain (1852-1931) tenait une place de choix. Commentateur acerbe des affaires politiques de la Troisième République, Forain était attendu par les lecteurs pour ses prises de position dans Le Figaro, L’Écho de Paris ou encore Le Gaulois, la plus regrettable ayant été celle contre le capitaine Dreyfus. Il alla jusqu’à fonder le magazine Psst… ! avec Caran d’Ache, motivé par un profond sentiment antisémite que partageait son ami Edgar Degas. La part d’ombre de cet homme au patriotisme et à la foi exacerbés est abordée sans ambages par les commissaires de la riche rétrospective du Petit Palais (la première depuis 1978 !), à Paris, qui vient heureusement rectifier l’image parvenue jusqu’à nous d’un satiriste bourgeois, empruntant paresseusement ses thèmes à Degas – les ballerines de l’Opéra, les prostituées, les champs de course… 

Cadrages surprenants
Avant d’être élu à l’Institut de France, de présider la Société nationale des beaux-arts, d’être décoré de la Légion d’honneur, et de résider dans un hôtel particulier sis à la porte Dauphine, Forain avait partagé sa paillasse miteuse avec un certain Arthur Rimbaud, ses idées anarchistes avec Camille Pissarro, sa vision artistique avec Édouard Manet et Edgar Degas à la terrasse du café de La Nouvelle Athènes. Formé dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, assistant du sculpteur Carpeaux, il était le cadet du groupe des impressionnistes, avec lesquels il exposa à plusieurs reprises entre 1879 et 1886. S’il stigmatise les travers de la haute bourgeoisie, Forain ne s’attendrit pas pour autant sur les petites gens. Lorsqu’il dépeint un abonné du Jockey Club tenant à la gorge une ballerine dans les coulisses de l’Opéra de Paris, il titre son œuvre Sur le plateau (1912)  – ces danseuses cherchant un protecteur ne s’offraient-elles pas sur un plateau ? Parmi les premières toiles, les plus savoureuses du parcours, un Client (1878) hésite longuement devant une poignée de prostituées, à la façon d’une ménagère devant un étal de boucher.

Grâce à des œuvres judicieusement sélectionnées, l’accrochage thématique décortique la complexité de l’homme comme de l’artiste. Son grand mérite est de révéler la versatilité de Forain le dessinateur comme celle de Forain le peintre, capable de cadrages surprenants – à l’image de ce Pêcheur et son chien suspendus dans le vide, assis sur une poutre lancée au-dessus de la surface lisse d’une rivière. 

Les mosaïques ornant la façade du Café Riche, pour lesquelles Forain avait exécuté les cartons, illustrent quant à elles un esprit synthétique adapté aux grands formats décoratifs. La rapidité de son geste, enfin, se retrouve aussi bien dans ses dessins de prétoire que dans ses tableaux des Années folles, où les danseuses de cabaret n’apparaissent plus que comme des formes évanescentes. C’était là la devise de Forain : « Un tableau, pour être ragoûtant, doit être terminé en esquisse. » 

La vie selon Jossot

Dans un autre genre, la bibliothèque Forney, à Paris, offre sa première rétrospective à Gustave Jossot (1866-1951), caricaturiste surtout connu pour son travail pour le journal satirique L’Assiette au beurre. S’il était le contemporain de Jean-Louis Forain, et qu’il était issu de la bourgeoisie dijonnaise, Jossot s’est tracé un tout autre chemin, tant sur le fond que sur la forme : son trait d’une mordante modernité est synthétique au possible, les couleurs sont crues, les visages, souvent déformés – un style auquel empruntent largement les caricaturistes d’aujourd’hui.
Artiste engagé, Jossot se révolte contre l’autorité plus qu’il ne milite pour une chapelle politique – il a d’ailleurs connu ses premiers succès grâce à l’affiche et la publicité. Accru après la mort de sa fille unique en 1896, son malaise vis-à-vis de la société s’est concrétisé en 1911 par son départ pour la Tunisie, et sa conversion à l’islam. Élaborée par deux spécialistes de l’artiste, l’historien de l’art Henri Viltard et le collectionneur Michel Dixmier, cette exposition réaffirme, aux yeux du grand public, la place de Jossot dans le panthéon des caricaturistes. « Jossot. Caricatures (1866-1951). De la révolte à la fuite en Orient », bibliothèque Forney, 1, rue du Figuier, 75004 Paris, tél. 01 42 78 14 60. Jusqu’au 18 juin.

JEAN-LOUIS FORAIN

Commissaires : Florence Valdès-Forain, historienne de l’art, assistée de Joëlle Raineau, collaboratrice scientifique au Petit Palais

Itinérance : Dixon Gallery and Gardens, Memphis (Tennessee), du 26 juin au 9 octobre


JEAN-LOUIS FORAIN (1852-1931), LA COMÉDIE PARISIENNE
Jusqu’au 5 juin, Petit Palais, av. Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 53 43 40 00, www.petitpalais.paris.fr, tlj sauf lundi et jf 10h-18h, 10h-20h le jeudi. Catalogue, éd. Paris Musées, 256 p., 230 ill., 39 euros, ISBN 978-2-7596-0155-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : Itinéraire d’un enfant gâté

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