La 16e Biennale d’Issy est un bon cru : plusieurs propositions d’artistes émergents se démarquent par leur qualité plastique et leur méditation sur l’écoulement du temps.
Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). C’est indéniable, le comité de sélection de cette 16e édition a du flair. Il en a même tellement que la trentaine d’artistes émergents dont le dossier a été retenu par les 12 membres du jury ferait presque oublier la présence de certaines stars de l’art contemporain invitées par l’équipe de la Biennale d’Issy. Les nouveaux venus n’ont pas à rougir devant leurs aînés, bien au contraire : de par leur maîtrise technique et leur approche parfois inattendue du thème de cette année, « L’eau intranquille », ils volent la vedette aux habitués des lieux, au premier rang desquels Barthélémy Togo, Hervé Di Rosa et Robert Combas. Chez les talents retenus par le jury, les évocations du désastre écologique et des routes migratoires jouxtent des allégories du temps aussi poétiques que mélancoliques. Sophie Deschamps-Causse, commissaire et présidente de la Biennale, Anne Malherbe, commissaire invitée, et Didier Genty, scénographe, sont parvenus à créer des résonances spatiales entre ces thématiques tout en évitant l’écueil d’une présentation trop sage par thème.
Le paysage avec ruines, si présent chez Jacob van Ruisdael et dans la peinture romantique du XIXe siècle, retrouve ses lettres de noblesse. Si l’Histoire est d’ordinaire enfouie dans la sylve épaisse, les ruines se fondent ici dans un décor aqueux et sans âge. La verticalité vaincue de la ruine, caractéristique des tableaux de John Constable, est au cœur de l’installation vidéo et sculpturale Architecture Dismembered (2019, [voir ill.]) de Halveig Villand. La lente érosion des colonnes de sel, exposées à de fins jets d’eau, est présentifiée par la vidéo tandis que la matière n’est plus que vestige, sous la forme de fragments de colonnes gisant au sol. Plus loin, la silhouette brumeuse d’une épave se dessine dans les profondeurs de l’océan. Dans sa grande huile sur toile L’Emprise (2022), Coraline de Chiara retranscrit à merveille la vision sous-marine, déterminée par l’indice de réfraction de l’eau, à l’aide de ses glacis profonds et de ses empâtements fluides. Ce paysage sous-marin devient ainsi support de mémoire : « la mer est l’Histoire »,écrivait le poète Derek Walcott. À ces abysses s’oppose le paysage onirique et aérien du tableau Reflets incertains (2025) de Mathilde Lestiboudois. Face à ces arcades épurées et trompeuses, impossible de ne pas songer aux architectures impossibles de Maurits Cornelis Escher et aux paysages métaphysiques de Giorgio De Chirico. À l’instar de Villand, Lestiboudois convoque deux temporalités dans son œuvre : les arcades fragmentées s’érigent vers le ciel tandis que leur splendeur fanée se reflète dans un bassin d’eau limpide.
Le genre de la nature morte n’est pas en reste. Outre la série « Still » (2021-2022) d’Hélène Langlois, fidèle au genre, les mini-cabinets de curiosité de Benoît Dutour, ensemble de naturalia et d’artificialia encapsulés dans des Larmes de joie suspendues (2025) en verre optique sculpté, frappent par leur raffinement. Rouages d’horlogerie, bois flotté, papillons, épingles et poudre d’or sont figés à jamais dans la solution aqueuse contenue dans le verre. Pièces maîtresses de la Biennale, ces œuvres méditatives marquent le retour d’un art de l’intériorité dans un paysage artistique devenu une véritable chambre d’échos des enjeux sociétaux actuels.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°663 du 17 octobre 2025, avec le titre suivant : Insondables mémoires de l’eau





