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Ingres en quête du trait antique

Le Journal des Arts

Le 7 juillet 2006 - 811 mots

Le musée de Montauban explore au plus près le rapport d’Ingres à l’antique, une question abordée pour la première fois par une exposition.

 MONTAUBAN - Que Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867) ait été inspiré par l’antique n’est pas une découverte en soi. Mais jusqu’ici, aucune institution ne s’était penchée d’une façon aussi scientifique, précise et documentée sur ce rapport fondamental dans la compréhension de l’œuvre de l’artiste. « Il n’y a jamais eu de confrontation physique entre Ingres et l’antique », explique Florence Viguier-Dutheil, conservatrice du Musée Ingres à Montauban (Tarn-et-Garonne). Prenant appui sur la thèse de Pascale Picard-Cajan, l’exposition propose au public de découvrir la passion d’Ingres pour l’Antiquité et son acharnement tout au long de sa carrière à tenter de « capter le trait antique », tout en se souciant constamment  de la transmission de cet héritage à ses suiveurs. Coproduite par le Musée Ingres et le Musée de l’Arles et de la Provence antiques, à Arles, avec la participation active du Musée du Louvre en termes de prêts mais aussi de contributions scientifiques, la manifestation parcourt tout l’œuvre en faisant la part belle aux richesses du fonds d’atelier conservé au musée de Montauban. Elle dévoile un corpus impressionnant de planches documentaires, ouvrages, dessins, relevés graphiques, gravures, objets et photographies compilés par Ingres. Le peintre élabore ce fonds documentaire alors qu’il est directeur de la Villa Médicis, à Rome, entre 1835 et 1840. Cette somme constitue son matériau de travail, son laboratoire secret révélé ici pour la première fois de façon aussi complète.
Ce parcours dans l’intimité créatrice du peintre s’ouvre sur la reproduction d’une gravure réalisée par le comte de Paroy (1750-1824) représentant plus de 300 marbres qui apparaissent comme autant d’archétypes de la statuaire gréco-romaine telle qu’on pouvait la connaître en 1789. Les œuvres et documents s’organisent ensuite en trois grandes parties, de la découverte de l’antique par le biais des sculptures monumentales qui vont nourrir ses premières œuvres à l’assimilation parfaite du thème. Ainsi l’antique est-il revisité en toute liberté dans Le Bain turc (1863), chef-d’œuvre qui clôt l’exposition. Entre-temps, le visiteur aura suivi l’intégralité du processus créatif, grâce à un travail de recherche très précis et d’une étude minutieuse des sources.

Ingres archéologue
Très tôt, l’artiste manifeste un goût prononcé pour les scènes tragiques de l’Antiquité. La première salle est consacrée à la sculpture gréco-romaine, avec d’imposantes pièces dont la colossale Minerve du Musée du Louvre, découverte par Ingres dans les jardins de la Villa Médicis – son acheminement à Montauban est en soi une prouesse. L’Antiquité permet à l’artiste d’approcher ce qui sera l’une des préoccupations principales de son œuvre, le nu.
Tableau phare de cette section, Les Ambassadeurs d’Agamemnon et des principaux de l’armée des Grecs, qui lui valut le Prix de Rome en 1801, est éminemment marqué par la statuaire gréco-romaine. Patrocle et Ulysse renvoient au Faune du Capitole et au Phocion du Vatican, représentés ici par deux moulages commandés par Ingres et restaurés à l’occasion de l’exposition. Dans la deuxième partie sont présentés des exemples d’objets – vases, marbres, livres ou bronzes rassemblés dans des vitrines – pour la plupart acquis par l’artiste lors de son passage à la Villa Médicis. Ingres collectionne plutôt de petites pièces, afin de constituer un très large échantillonnage de formes et de motifs d’études. On relève peu de marbres, beaucoup de terres cuites, des céramiques dont il copie les motifs en utilisant fréquemment la technique du calque. Pour un même objet, Ingres possède souvent le dessin, la gravure, le moulage, parfois une photographie. « La démarche d’Ingres n’est pas seulement celle d’un passionné, c’est aussi celle d’un véritable archéologue », précise la conservatrice. C’est d’ailleurs par le biais d’archéologues qu’il découvre la Grèce. Otto Magnus von Stackelberg et Charles Robert Cockerell seront importants dans son apprentissage, tout comme son ami architecte François Mazois, qui publie Les Ruines de Pompéi.
À l’inverse de l’importante rétrospective proposée au printemps au Louvre, « Ingres et l’antique » réunit peu de peintures. Celles qui ont été retenues montrent l’aboutissement des recherches d’Ingres à différentes périodes clés. Œdipe et le Sphinx, Jupiter et Antiope, Stratonice, Le Bain turc suffisent à illustrer le propos, remarquablement servi par une scénographie soignée et lumineuse. L’exposition comme l’important catalogue qui l’accompagne est un exemple en matière de travail sur les collections d’un musée (400 des 500 pièces exposées proviennent du fonds de Montauban) et sur leur mise en valeur, un aspect souvent négligé par les institutions.

INGRES ET L’ANTIQUE, L’ILLUSION GRECQUE

Jusqu’au 15 septembre, Musée Ingres, 19, rue de l’Hôtel-de-Ville, 82013 Montauban, tél. 05 63 22 12 91, juillet-août tlj 10h-18h, fermé le 15 août, juin et septembre 10h-12h, 14h-18h. Catalogue, éd. Actes Sud, Arles, 420 p., 350 ill., 39 euros, ISBN 2-7427-6141-1. L’exposition sera ensuite présentée au Musée de l’Arles et de la Provence antiques, à Arles, du 2 octobre 2006 au 2 janvier 2007.

Ingres et l'antique

- Nombre d’œuvres : environ 500 - Commissaire scientifique de l’exposition : Pascale Picard-Cajan - Commissaire exécutif : Florence Viguier-Dutheil - Scénographie : Design in-situ, André Frère et Martin Michel

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°241 du 7 juillet 2006, avec le titre suivant : Ingres en quête du trait antique

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