Hymne à la joie

Deux expositions célèbrent l’art de Raoul Dufy

Le Journal des Arts

Le 2 mai 2003 - 626 mots

À l’occasion du cinquantenaire de la mort de Raoul Dufy (1877-1953), deux musées mettent à l’honneur, à travers des expositions complémentaires, le talent de cet artiste à la fois peintre et décorateur. Tandis que le Musée Maillol à Paris propose, à travers plus de cent vingt peintures et dessins, un parcours loin des idées reçues, le Musée Malraux du Havre met l’accent sur les rapports entre arts appliqués et peinture dans l’œuvre de Dufy (lire l’encadré).

PARIS - Trop souvent réduit à l’image d’un peintre de champs de courses et de régates, Raoul Dufy éclaire d’un jour nouveau les cimaises de la Fondation Dina-Vierny – Musée Maillol à Paris. Fanny Guillon-Laffaille, commissaire de l’exposition et spécialiste de Dufy, a conçu, selon ses propres termes, un parcours “orienté, partisan”, et qui, de ce fait, “comporte quelques manques”. On y constate, comme elle l’écrit dans le catalogue de l’exposition, “des répétitions volontaires, des accents et des lumières mis sur certaines périodes de la vie de l’artiste. Dufy est un artiste très doué et qui a beaucoup travaillé, explique-t-elle : plus de trois mille peintures, six mille grandes aquarelles, autant de dessins, de projets de tissus, des céramiques, des illustrations de livres, des œuvres gravées, des tapisseries. De cette somme de travail, il est injuste de retenir uniquement les Courses et les Régates”. Construite en deux volets, l’exposition met l’accent sur l’importance de la contribution de Dufy aux mouvements fauve et cubiste, ainsi que sur l’explosion de joie et de fraîcheur qui prévaut dans son œuvre, et en particulier dans ses gouaches, à partir des années 1920.
L’une de ses célèbres Rue pavoisée (1906) accueille le visiteur avec son cortège de badauds et son déploiement de drapeaux tricolores. Emblématique de la période fauve du peintre, elle montre l’interprétation vigoureuse et originale que Dufy fit de ce mouvement dont il représente, avec Georges Braque et Othon Friesz, la branche normande. Originaire du Havre, l’artiste travaille avec Marquet à Fécamp en 1904, puis à Trouville et dans sa ville natale en 1906, comme en attestent plusieurs études de paysages.

“Y’a d’la joie”
L’année suivante, il peint La Foire aux oignons. Cette toile étonnante, proche par son sujet et sa palette des réalisations de l’école de Pont-Aven, montre déjà son intérêt pour des compositions très construites, structurées par des lignes verticales et horizontales, un intérêt qui culmine lors de son voyage à l’Estaque avec Georges Braque en 1908.
Privilégiant le dialogue entre les œuvres plutôt qu’un cheminement chronologique, le parcours alterne paysages aux tons verts et ocre des années cubistes (Arbres à l’Estaque, Bateaux à quai dans le port de Marseille), toiles postimpressionnistes ou fauves et tableaux dans lesquels Dufy affirme son style propre. C’est le cas de la Grande Baigneuse (1913), qui montre son évolution vers un dessin plus souple, et de la Nature morte à la tour blanche (1913-1914), où la ligne se dissocie de la couleur. Cette caractéristique est à l’origine d’un art singulier, qui trouve dans la peinture à la gouache l’une de ses plus belles expressions. En témoignent les quelque quarante gouaches sur papier exposées, aux coloris éclatants et à la touche fluide. D’une exécution rapide, elles illustrent l’ensemble des grands thèmes abordés par l’artiste dans ce médium (fleurs, régates, vues de Venise, baigneuses, courses), mais aussi la gaieté, l’aisance et la spontanéité qui furent les siennes jusqu’à la fin de sa vie. “Si je pouvais exprimer toute la joie qui est en moi !”, se serait-il exclamé quelques jours avant sa mort...

RAOUL DUFY

Jusqu’au 16 juin, Fondation Dina-Vierny – Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 75007 Paris, tlj sauf mardi 11h-18h, tél. 01 42 22 59 58, www.museemaillol.com. Cat., éd. Hazan, 35 euros. L’exposition sera ensuite présentée au Musée des beaux-arts de Nice (5 juillet-28 septembre).

Dufy décorateur

Ville natale de Dufy, Le Havre souligne dans l’exposition “Dufy, du motif à la couleur”? (au Musée Malraux, jusqu’au 1er juin, tél. 02 35 19 62 62) une dimension particulière de son art, celle de décorateur, à travers dessins, céramiques, textiles, vêtements et tapisseries. Confrontés à l’œuvre peint (une cinquantaine de peintures sont présentées), ces projets et réalisations témoignent d’une même inspiration (des thèmes analogues sont déclinés dans différentes techniques), mais aussi des qualités décoratives de l’artiste. Dès les années 1910, Raoul Dufy s’engage dans le domaine des arts appliqués. Il grave notamment une suite de bois aujourd’hui considérée comme un chef-d’œuvre de l’art graphique, pour illustrer le Bestiaire ou Cortège d’Orphée d’Apollinaire. Remarquée par le couturier Paul Poiret, cette série marque le début d’une carrière prolifique dans les arts décoratifs ; elle sera transposée dans le textile et déterminera sa collaboration avec la firme de soyeux lyonnais Atuyer-Bianchini-Férier, qui l’engage pour réaliser des projets de tissus d’ameublement, d’habillement et de tentures. Proche de Jean Cocteau, Dufy crée en 1920 les décors et costumes du Bœuf sur le toit, puis s’adonne à la céramique avec l’artiste catalan Artigas. En 1923, il réalise à la demande de l’État une série de cartons de tapisserie pour un mobilier sur le thème de Paris, qui donnera naissance aux fauteuils Les Tuileries ou La Madeleine et aux sièges Notre-Dame et Institut. Dès lors, les commandes affluent. L’une des plus célèbres reste la gigantesque fresque de la Fée Electricité (Musée d’art moderne de la Ville de Paris). Peinte dans le cadre de l’Exposition des arts et des techniques de 1937, elle est emblématique de l’art de Dufy, où formes et couleurs deviennent autonomes.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°170 du 2 mai 2003, avec le titre suivant : Hymne à la joie

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