Art moderne - Livre

Hugo, le poète visionnaire

La Bibliothèque nationale de France célèbre le Bicentenaire de sa naissance

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 19 avril 2002 - 803 mots

PARIS

À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, la Bibliothèque nationale de France (BNF) rend hommage au romancier, poète, dramaturge, dessinateur, caricaturiste et photographe, mais aussi à l’homme politique, ardent défenseur des libertés. À travers quelque 300 pièces et une mise en scène classique, le parcours rappelle ainsi son génie pluridisciplinaire.

PARIS - “Je donne à la bibliothèque nationale de Paris qui sera un jour la Bibliothèque des États-Unis d’Europe, tout ce qui sera trouvé écrit ou dessiné par moi.” En 1881, par codicille testamentaire, Victor Hugo lègue son œuvre à la Bibliothèque nationale, qui lui consacre aujourd’hui une importante rétrospective. Le parcours s’ouvre sur le manuscrit de William Shakespeare, publié en 1864, dans lequel Hugo invente le terme d’homme océan pour définir le génie de Shakespeare, Juvénal, Dante ou saint Paul, une formule qui correspond également aux multiples facettes de son talent. Le texte apparaît aux côtés de marines peintes lors de son exil à Guernesey. “J’ai barbouillé ma propre destinée – un bateau battu par la tempête au beau milieu du monstrueux océan, à peu près désemparé, assailli par tous les ouragans et par toutes les écumes, et n’ayant qu’un peu de fumée qu’on appelle la gloire, que le vent arrache, – et qui est sa force –”, écrit-il au dos d’une carte de visite en 1857, sur laquelle il a dessiné un Navire désemparé dans la tempête. Ce bateau à la dérive hante bon nombre de ses dessins, réalisés à l’encre, au fusain, au lavis et parfois rehaussés de gouache blanche pour traduire l’écume et le souffle du vent, comme dans Gros temps, La Durande portée par la lame, Navire dans la tourmente, Ma destinée ou Naufrage, placé entre les livres IV et V de la première partie des Travailleurs de la mer. Dans ces marines tourmentées et mélancoliques, nées de l’exil, il dévoile ses états d’âme, s’identifiant tantôt au navire, tantôt à l’océan. À mi-chemin entre cauchemar et réalité, il adapte ce style apocalyptique à toute son œuvre graphique, des paysages marécageux, des ruines ou des portiques donnant sur le néant.

Pour l’abolition de la peine de mort
De même que le dessin a conduit Hugo à s’intéresser à la photographie, celle-ci lui ouvre d’autres champs d’expérimentation : collages, découpages, inversion d’images, dessins à partir de photographies. En témoigne la grande composition de 1855, dans laquelle figure, au centre, la photographie de Victor Hugo sur son rocher, en victime expiatoire du régime impérial, entouré de clichés de sa fille Léopoldine ou de Mme Victor Hugo lisant Châtiments ; des images associées à des poèmes, collées sur du papier peint à l’aquarelle, et encadrées d’entrelacs, d’éléments d’architectures et de symboles gothiques. Il utilise aussi la photographie pour réaliser des cartes d’étrennes, illustrer certains exemplaires des Contemplations, pour ses proches, ou ses albums dits “des proscrits”, destinés aux exilés. Quelques-uns des portraits de famille accrochés à Hauteville House – des peintures représentant Victor Hugo et son fils François-Victor, sa fille Léopoldine, son père ou sa femme Adèle – ont pu être réunis, aux côtés des souvenirs de voyages, des dessins réalisés en Bretagne, en Normandie, en Belgique, en Espagne, en Suisse ou sur le Rhin, peut-être une évocation des États-Unis d’Europe auxquels il faisait souvent allusion.

À travers les nombreux manuscrits qu’elle possède, la BNF rend également hommage aux grands romans de Victor Hugo. Le visiteur peut contempler quelques pages de Bug-Jargal, Claude Gueux, des textes hantés par l’exclusion, la misère, la dureté de l’univers carcéral, Notre-Dame de Paris, Les Misérables, dans lequel il plaide pour les exclus ou encore Le Dernier Jour d’un condamné, véritable pamphlet contre la peine de mort, entièrement rédigé à la première personne. Pair de France sous Louis-Philippe, député de Paris à la Constituante en 1848, élu à l’Assemblée nationale en 1871, sénateur de la Seine sous la IIIe République, Victor Hugo, tout au long de sa vie, n’a cessé de prôner l’abolition de la peine capitale. “Après février, le peuple eut une grande pensée : le lendemain du jour où il avait brûlé le trône, il voulut brûler l’échafaud... On l’empêcha d’exécuter cette idée sublime. Eh bien, dans le premier article de la Constitution que vous votez, vous venez de consacrer la première pensée du peuple, vous avez renversé le trône. Maintenant, consacrez l’autre, renversez l’échafaud, clame-t-il dès 1848, lors d’un discours à l’Assemblée constituante. Je vote l’abolition pure et simple de la peine de mort.” Il sera exaucé près d’un siècle après sa mort, en 1981, comme le rappelle Robert Badinter dans la vidéo diffusée à la fin du parcours.

- VICTOR HUGO, L’HOMME OCÉAN, jusqu’au 23 juin, Bibliothèque nationale de France, site François-Mitterrand – grande galerie, quai François-Mauriac, 75013 Paris, tél. 01 53 79 59 59, tlj sauf lundi, 10h-19h et 12h-19h le dimanche. Catalogue, BNF/Le Seuil, 368 p., 55 euros.

Voir des étoiles

Parallèlement à la Bibliothèque nationale de France, la Maison de Victor Hugo, à Paris (jusqu’au 28 juillet, tél. 01 42 72 10 16), consacre une exposition au théâtre de l’écrivain, à travers une sélection de manuscrits, de croquis, de maquettes, de costumes et accessoires, de correspondances avec des directeurs de théâtres ou des comédiens, d’articles de presse, de photographies. Ils sont présentés dans l’appartement même où certaines pièces ont été écrites, comme Le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Ruy Blas ou Les Burgraves. Pour l’occasion, le musée a également réalisé des entretiens audiovisuels, conduits par Jean-Claude Carrière, avec des metteurs en scène qui évoquent leur approche du théâtre de Victor Hugo.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°147 du 19 avril 2002, avec le titre suivant : Hugo, le poète visionnaire

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