Photographie

Histoires parallèles

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 732 mots

Le Musée d’Orsay met en regard le daguerréotype en France et le calotype en Angleterre.

PARIS - Qu’importe l’entente cordiale, la rivalité France-Angleterre aura toujours de beaux jours devant elle. Cet antagonisme culturel est si tenace que l’art de gloser sur les particularismes de chacun est depuis longtemps un sport national de part et d’autre de la Manche. Comme nous le rappellent les deux nouvelles expositions du Musée d’Orsay, à Paris, les prémices de la photographie n’ont pas échappé à ce phénomène. Et la démonstration est plus que concluante.
En janvier 1839, l’invention de Louis-Jacques-Mandé Daguerre est annoncée à l’Académie des sciences, à Paris. Quelques jours plus tard, William Henry Fox Talbot se dépêche de révéler ses propres découvertes à la Royal Institution à Londres. Si elles parviennent toutes deux à saisir le réel, ces deux percées scientifiques multiplient les différences – techniques, artistiques et commerciales. Le daguerréotype implique une préparation chimique complexe, et chaque plaque de verre sensibilisée à la lumière est unique. Le calotype anglais se développe pour sa part sous les rayons du soleil, et son négatif papier est reproductible à souhait par contact sur une autre feuille de papier. L’invention de Daguerre brille par la netteté de ses contours et la richesse de ses détails. Celle de Talbot offre une version moins directe de l’image, l’aspect général est plus doux, plus profond. Enfin, Daguerre bénéficie d’un soutien politique et scientifique qui laissera Talbot sur le bord de la route. Adapté à des fins commerciales, le daguerréotype est un formidable outil populaire, se déclinant en portrait, vue topographique ou image licencieuse. Devant ce succès renversant, le calotype de Talbot n’est pas de taille à lutter, il restera un passe-temps de la haute société britannique, laquelle entreprend la photographie comme l’aquarelle ou la poésie. Mais dès les années 1860, aussi déséquilibré fut ce duel, ni Daguerre ni Talbot ne pouvaient faire face à la technique du collodion humide, procédé réunissant les atouts des deux inventions.

Heureux parallèle
Le Musée d’Orsay offre aujourd’hui une première occasion au public français de comparer les premiers pas de la photographie dans ses versions britannique et française. Conçue par la National Gallery of Art de Washington et le Metropolitan Museum of Art de New York, « L’Image révélée » consacrée à Talbot est assortie, à l’étage inférieur, d’une présentation des plus beaux daguerréotypes français issus de la collection du musée parisien. Le parallèle est heureux car il révèle les aspirations propres à chaque culture. L’usage documentaire de l’invention de Daguerre s’oppose à la dimension expressive de celle de Talbot. Ces deux ensembles témoignent du gouffre entre l’esprit cartésien français – les poses rigides des modèles, la maîtrise de la lumière, les prises de vues frontales des édifices historiques… – et le talent narratif britannique – la force de la nature y est le sujet principal, à l’exemple de l’architecture en ruine, dévorée par le lierre. Côté français, les exemples documentaires sont ici savoureux, car inscrits dans l’inconscient collectif au travers de la littérature ou des beaux-arts. Ainsi la double prise de vue de la barricade de la rue Saint-Maur-Popincourt, à Paris, avant et après l’attaque par les troupes du général de Lamoricière en 1848, les tentures recouvrant Notre-Dame à l’occasion des funérailles du duc d’Orléans en 1842, le Palais des Tuileries encore debout… Côté britannique, place aux forces évocatrices de la nature, celle-là même qui inspirent Joseph Paxton à concevoir son Crystal Palace autour des arbres de Hyde Park, dont l’un d’entre eux est ici immortalisé par Benjamin Brecknell Turner. Une vue bucolique de Naples illustre l’une des étapes du Grand Tour de l’Europe auquel s’adonnaient les voyageurs fortunés, et les magnifiques prises de vues du Taj Mahal, encore perdu dans la nature, rappelle l’étendue de l’empire britannique. Seule exception : lorsque Talbot a voulu développer son activité en France, il réalise des clichés documentaires des grands monuments français à la demande de l’administration des Monuments historiques.

L’IMAGE RÉVÉLÉE, PREMIÈRES PHOTOGRAPHIES SUR PAPIER EN GRANDE-BRETAGNE (1840-1860) - LE DAGUERRÉOTYPE FRANÇAIS

Jusqu’au 7 septembre, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi, 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi. Catalogues Le Daguerréotype, coédité par le Musée d’Orsay et 5 continents, 96 p., 12 euros, disponible en anglais et en italien, ISBN 978-2-35433-023-1 ; L’Image révélée, coédité par le Musée d’Orsay et Nicolas Chaudun, 128 p., 29 euros, ISBN 978-2-35039-053-6.

L’IMAGE RÉVÉLÉE - Commissaires : Roger Taylor, professeur d’histoire de la photographie, Montfort University ; Malcolm Daniel, conservateur en chef, Metropolitan Museum of Art, New York ; Sarah Greenough, conservateur en chef, The National Gallery of Art, Washington ; Dominique de Font-Réaulx, conservateur au Musée du Louvre, assistée de Joëlle Bolloch, chargée d’études documentaires au Musée d’Orsay LE DAGUERRÉOTYPE - Commissaire : Dominique de Font-Réaulx, conservateur au Musée du Louvre, assistée de Joëlle Bolloch, chargée d’études documentaires au Musée d’Orsay

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : Histoires parallèles

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