Bruxelles

Henri Evenepoel, la réalité dans son intimité profonde

Deux cents œuvres retracent une carrière fulgurante et prolifique

Le Journal des Arts

Le 1 mai 1994 - 893 mots

Les Musées royaux des beaux-arts de Belgique présentent une rétrospective consacrée à la vie et à l’œuvre d’Henri Evenepoel (Nice 1872-Paris 1899) qui renoue heureusement avec un travail scientifique de longue haleine soutenu par le Crédit communal de Belgique qui s’impose désormais comme un des derniers mécènes culturels belges. Le Centre international pour l’étude du XIXe siècle a cosigné cette manifestation dont l’intérêt est multiple.

BRUXELLES - D’abord, l’exposition qui, en quelque deux cents pièces, retrace l’évolution fulgurante d’un artiste prolifique mort à 27 ans. Peintures, dessins, pastels, aquarelles, photographies et affiches donnent un aperçu complet d’une œuvre qui échappe rapidement à la scène belge pour s’épanouir à Paris. Élève de Pierre-Victor Galland à l’École des beaux-arts, Evenepoel fréquentera aussi l’atelier de Gustave Moreau ou il côtoiera Rouault et se liera d’amitié avec Matisse. Réparties en trois étages dans les salles d’expositions contemporaines, les œuvres soulignent l’extraordinaire sensibilité du peintre aux choses du quotidien et à cette fragilité intimiste qu’ont les êtres saisis dans leur quotidienneté. Evenepoel se révèle un portraitiste exceptionnel.

Cette fascination pour la réalité saisie dans l’instant n’a pas les hardiesses fauves de ceux que la lumière seule fascine. L’intérêt d’Evenepoel se porte sur les choses et les êtres dans leur vie même. De là ce recours constant à la photographie instantanée qui révèlent un artiste sensible, à l’œil constamment aux aguets. Entre 1897 et 1899, il en réalisera près de neuf cents. Les photographies d’Evenepoel, tirées de façon remarquable par les services de l’Institut royal du patrimoine artistique, sont un des temps forts de l’exposition. À Paris, où en 1894 il découvre l’œuvre de Manet présentée chez Durand-Ruel, l’homme participe pleinement de l’esprit qui se met en place. Son Espagnol à Paris, du Musée de Gand, peint en 1899, en témoigne. Sans être Nabi, ni même réellement influencé par eux, Evenepoel participe d’un même esprit où se mêlent japonisme, intimisme, sens de la composition, effets de matières, stylisation…

Comparaison avec Matisse
À la fin de l’année 1897, son père l’envoie en Algérie. Il ne s’agit pas tant de prolonger une tradition orientaliste dont Evenepoel n’a que faire, que de l’éloigner d’une cousine trop ostentatoirement aimée. La comparaison avec Matisse – dont le séjour au Maroc est postérieur – montre à quel point Evenepoel constitue bien un jalon dans l’histoire de l’art moderne. Point de synthétisme décoratif ni d’hédonisme lumineux. Les solutions ne sont pas pour lui. Tout au plus les problèmes. Comment rendre un volume dans l’espace lorsque celui-ci est saturé de lumière et celui-là finit par éclater visuellement sous la pression du soleil ? Evenepoel peint alors quelques-uns de ses chefs-d’œuvre comme L’Annonce de la fête nègre à Blidah qu’il peint en 1898.

Son Intérieur arabe, appelé aussi Les Femmes au narghilé, annonce largement Matisse sans que l’on puisse savoir si Evenepoel a contribué à sa fascination pour le Maroc. À son retour en France, le style gagne en maturité. La main est franche, le coloris plus lumineux, les effets de matières sont savamment dosés. Evenepoel a trouvé son style propre dans ce Paris fin de siècle qui n’est pas sans répondre aux tentations expressionnistes qu’un Picasso bientôt exploitera. Evenepoel n’est pas là. On glosera sans fin pour savoir si l’artiste aurait évolué et comment. Ce qu’il laisse derrière lui, le 27 décembre 1899, apparaît aujourd’hui dans la cohérence d’une recherche fulgurante : soucieux de saisir la réalité dans son intimité profonde, Evenepoel a trouvé dans son art un animisme délicat qui dialogue avec le réel sur le ton de la confidence.

Imposante publication
Admirable exposition, riche en documents d’époque, qui honore l’homme et l’œuvre, celle-ci aurait parfois gagné en densité si l’accrochage s’était ménagé de petits espaces pour préserver le champ animiste des portraits et des scènes d’intérieur. Les toiles, visibles d’un coup d’œil panoramique dans chaque pièce, se font parfois concurrence et lassent un spectateur sans l’inviter à partager ces moments de communion avec l’instant.

Accompagnant la manifestation, une imposante publication fait le point des connaissances et se double d’un catalogue raisonné de l’œuvre peint dû à Danielle Derrey-Capon. L’ouvrage richement illustré se livre à un examen exhaustif de ce que fut l’œuvre de ce condisciple de Matisse. On y puisera nombre d’informations qui permettent de se faire une idée de la personnalité de l’artiste, de l’importance de ses contacts parisiens, de la signification de son voyage en Algérie.

À côté de cette monographie, qui s’inscrit dans une collection éditée par le Crédit communal, l’ensemble des lettres écrites à son père depuis Paris esquisse d’Evenepoel un portrait vif et intimiste. Si elles renseignent sur l’homme, elles s’avèrent être aussi une mine d’informations sur ce Paris fin de siècle que fréquentent Matisse et Rouault.

"Henri Evenepoel", du 18 mars au 12 juin, du mardi au dimanche de 10h à 17h, fermé le lundi, Musées royaux des beaux-arts de Belgique 1-2, place Royale à Bruxelles. Entrée : 150/120 francs belges (25/20 francs français).
Ph. Roberts-Jones, D. Derrey-Capon, G. Ollinger et alii, Henri Evenepoel, suivi du catalogue raisonné de l’œuvre peint, Bruxelles, Crédit communal de Belgique/ Snoeck, 376 pages, 29,7 x 24,5, 1 350 francs belges durant l’exposition. Versions française et néerlandaise.
H. Evenepoel, Lettres à mon père, Paris 1892-1899, Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts de Belgique, deux volumes de 512 et 516 p. sous boîtier, 200 illustrations en noir et blanc, 24 x 16,5 cm, 2 150 francs belges.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°3 du 1 mai 1994, avec le titre suivant : Henri Evenepoel, la réalité dans son intimité profonde

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