Heinrich Darchinger, témoin d’une nouvelle Allemagne

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 23 août 2010 - 602 mots

Dans une ancienne Allemagne nazie ravagée par les bombes, le photographe Josef Heinrich Darchinger intercepte les signes d’une nouvelle société. En couleur, comme pour mieux témoigner.

« Si la guerre est perdue, la nation doit périr. » À défaut de vaincre ses ennemis, Hitler met donc l’Allemagne à genoux. À l’extérieur de son bunker, pourtant, les raids américains et britanniques, dans une offensive tant militaire que psychologique, détruisent le pays. Dans la nuit du 13 février 1945, Dresde est littéralement rayée de la carte tandis que, depuis d’interminables semaines, les bombardiers survolent méthodiquement l’Allemagne, n’épargnant aucun bâtiment sous leur passage.

Ainsi, entre janvier et mai 1945, près de 570 000 civils meurent sous 500 000 tonnes de bombes alliées. En avril, c’est au tour de Berlin d’être écrasée par l’aviation soviétique tandis qu’au sol, 25 000 canons prennent au piège ses habitants. Près de 25 000 tonnes d’obus soviétiques s’abattent sur la capitale.

Lorsque Josef Heinrich Darchinger, né à Bonn en 1925, parvient à s’enfuir du camp qui le retient prisonnier en 1947, l’Allemagne est effondrée, coupée en deux, et sous domination étrangère. Elle l’est toujours quand, deux ans plus tard, il rachète son premier Leica à un ancien reporter de guerre de la Wehrmacht. Encore et toujours lorsqu’en 1952 il devient « reporter-photographe » indépendant, profession qui n’existe alors pas.

Et pourtant, les ruines n’intéressent pas Darchinger, ou si peu, lorsqu’elles servent de théâtre d’opérations à des jeux d’enfants par exemple. Non, ce qui retient l’œil du photographe, c’est bien davantage cette société en pleine reconstruction, celle du « miracle économique » de Konrad Adenauer, le chancelier de la République fédérale d’Allemagne entre 1949 et 1963, et qui voit émerger l’ère de la consommation de masse. Cette société où les familles allemandes se reconstruisent en même temps que leur logement. En 1956, deux millions d’appartements ont ainsi été livrés aux victimes des bombardements.

Le confort est entré par la grande porte dans les nouvelles maisons de banlieue d’influence Bauhaus. Les femmes s’émancipent, elles travaillent et fument. En 1954, l’équipe de foot de RFA remporte la Coupe du monde retransmise sur 60 000 nouveaux téléviseurs allemands. Darchinger assiste à la naissance de cette civilisation et s’en fait le témoin oculaire.

Un témoignage que Darchinger veut moderne, en phase avec le monde environnant, en optant pour le récent – et rare – film couleur Agfacolor, rival allemand du Kodachrome américain. Nous sommes entre 1952 et 1967, en pleine hégémonie du noir et blanc, rescapé d’un monde révolu. Pour la petite histoire, l’Américain Eggleston n’entrera en couleur qu’en 1966, avec dix ans de retard sur son homologue allemand.

Photaumnales

Beauvais : son aéroport, sa manufacture royale et… son festival de photographie. Depuis 2004, en effet, la petite ville picarde, située entre Paris et Amiens, accueille chaque année « Les Photaumnales », festival d’images documentaires. Sous l’intitulé « Brèves de vie », l’édition 2010 programme, du 11 septembre au 7 novembre, une quinzaine d’expositions gratuites dans le centre-ville, parmi lesquelles : Darchinger et ses photos de « L’Allemagne de l’après-guerre, 1952-1967 », Jean-Christian Bourcart, lauréat du prix Niépce 2010, et ses portraits pris à travers les vitres des automobiles à New York (« Traffic »), mais aussi Véronique Ellena, pensionnaire à la Villa Médicis en 2008-2009, qui présente ses séries de 1997 « Les Dimanches » et « Les Grands Moments de la vie ». Cette dernière, dont on a pu récemment voir le travail de commande sur Le Havre, a reconstitué des scènes anodines, extraites du quotidien, qui nous touchent tant elles nous semblent familières. Ces expositions valent, à elles seules, le déplacement à Beauvais.

Autour de l’exposition

Infos pratiques.
« Josef Heinrich Darchinger. Wirtschaftswunder. L’Allemagne de l’après-guerre, 1952-1967 » dans le cadre des « Photaumnales 2010 », du 11 septembre au 7 novembre 2010. Galerie nationale de la tapisserie, 22, rue Saint-Pierre, Beauvais (60). Entrée gratuite. www.photaumnales.fr 
 Darchinger « le » livre. Apprécié en Allemagne, lauréat du prix Erich Salomon, Darchinger est peu connu en France. Le seul ouvrage en français est édité par Taschen : Wirtschaftswunder, 2008, 288 p., 30 e.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°627 du 1 septembre 2010, avec le titre suivant : Heinrich Darchinger, témoin d’une nouvelle Allemagne

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