Haring sur le ring

Le peintre n’est plus mis à l’index

Le Journal des Arts

Le 29 août 1997 - 710 mots

La première rétrospective de Keith Haring à New York est l’occasion de revenir sur ses relations tumultueuses avec les musées américains. Idéale pour un marchand puisque facilement reconnaissable, son œuvre a jusqu’à présent brillé davantage sur le marché de l’art qu’aux cimaises des musées nord-américains.

NEW YORK. Le Whitney Museum of American Art présente en ce moment la première rétrospective de l’œuvre de Keith Haring à Manhattan, avec plus de cent trente œuvres. Simultanément, treize sculptures sont exposées jusqu’en octobre dans les jardins de Park Avenue, bien loin du métro et des rues crasseuses de l’East Village qu’il fréquentait de son vivant. Les institutions américaines ont été longues à reconnaître le talent du créateur. En privé, les marchands et les directeurs de musées expliquent que Haring a été desservi par le marchand d’art Tony Shafrazi, qui représentait ses intérêts depuis le début des années quatre-vingt. Selon un marchand, "Keith n’a jamais pu obtenir une exposition personnelle parce que Tony Shafrazi s’était aliéné le monde de l’art en "bombant" Guernica, voici quel­ques années. C’était un antagonisme irréductible entre Shafra­zi et les musées, qui ont refusé de pro­mouvoir Keith à cause de son agent."

En espérant un succès populaire
Cette attitude a changé il y a trois ans, quand les administrateurs de la succession – le Haring Estate – ont résilié le contrat de Shafrazi au profit de la André Emmerich Gallery, connue pour ses excellents rapports avec les musées. Selon Donald McKinney, de chez Emmerich, les relations nouées entre la galerie et le Haring Estate permettent désormais aux œuvres d’entrer dans les grandes collections. Aujourd’hui en possession du Haring Estate et de la Keith Haring Fondation, nombre d’entre elles sont des tableaux de grand format, invendables à des collectionneurs privés. Le fait que la galerie ait été acquise l’an dernier par Sotheby’s pourrait également faire monter la cote de l’artiste, même si, selon McKinney, la célèbre maison d’enchères n’est pas intervenue dans la sélection des œuvres présentées au Whitney Museum. D’autres marchands estiment qu’il en ira différemment à l’avenir, avec l’instauration de liens plus étroits. La prolifération des faux Haring pourrait cependant nuire à sa cote. Depuis le début des années quatre-vingt, ces contrefaçons ont cassé le marché, déplorent les marchands. En 1989, Haring a fermé la Pop Shop qu’il avait inaugurée un an plus tôt à Tokyo pour y vendre ses productions sous licence, lorsqu’il s’est aperçu que la seule présence de cette boutique avait entraîné une augmentation sans précédent des contrefaçons. Même les dessins du métropolitain, de grandes pièces murales "invendables" qu’il avait créées en réaction contre le marché de l’art, ont été imités et contrefaits. Un artiste était même connu pour recouvrir les panneaux publicitaires vides du métro d’un papier noir d’excellente qualité sur lequel Haring – sans se douter de rien – dessinait ses chiens et ses humanoïdes. Prestement décollées, les feuilles disparaissaient chez des marchands où les dessins étaient souvent retracés et reproduits. En fait, la Keith Haring Foun­dation – qui authentifie la ma­jeure partie de l’œuvre – n’a pas pris de position de principe sur les subway drawings, à en croire Julia Gruen, co-exécutrice de la succession et directrice des activités philanthropiques de la fondation : "Il concevait ses subway drawings comme des dessins réalisés plus ou moins anonymement dans un lieu spécifique, non signés, en ayant pleinement conscience de leur caractère éphémère". Les avoirs de la fondation, constitués des quelque 2 000 œu­vres de la succession Haring, sont estimés à environ 25 millions de dollars (150 millions de francs). La licence de commercialisation des produits dérivés engendre environ un million de dollars (6 millions de francs) de revenus annuels. Selon les marchands, le Haring Estate espère que l’exposition du Whitney Museum va attirer des foules au moins aussi nombreuses que celles qui se sont pressées lors des précédentes expositions de l’artiste en Europe, et que ce succès donnera un coup de fouet à sa cote. Le prix le plus élevé jamais atteint aux enchères par un Haring est de 231 000 dollars (1,3 million de francs), en octobre 1989, pour une Amphora ayant appartenu à Robert Mapplethorpe.

KEITH HARING, jusqu’au 21 septembre, Whitney Museum of American Art, 945 Madison Avenue, New York, tél. 1 212 570 3676, tlj sf lundi et mardi, 11h-18h, jeudi 13h-20h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : Haring sur le ring

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