Art moderne

XXE SIÈCLE

Gromaire en attente à Roubaix

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 5 mai 2020 - 565 mots

ROUBAIX

Le public devra patienter encore un peu avant de revoir cette exposition consacrée au maître du « réalisme synthétique ».

Roubaix. 13 mars 2020. « L’exposition “Marcel Gromaire, 1892-1971, l’élégance de la forme” a ouvert pour un vernissage fantôme réunissant, pour la forme, celles et ceux qui avaient contribué à la réalisation de cette nouvelle saison de La Piscine. Le lendemain soir, le musée fermait pour une durée totalement indéterminée », se rappelle Bruno Gaudichon, conservateur du musée. Dans la même journée, une dizaine de journalistes le suivaient, imperturbable, commentant patiemment le parcours de la manifestation. De temps à autre, il laissait la place à Alice Massé, co-commissaire, afin de pouvoir répondre aux appels téléphoniques qui annonçaient des restrictions, puis la fermeture du musée.

Difficile, dans ces conditions insolites de rendre compte de l’exposition en faisant abstraction d’une réalité que l’on sait depuis tragique. Difficile, mais indispensable car, à sa façon, la culture n’est pas moins vitale que le secteur économique.

En parler est d’autant plus important que, selon les organisateurs, l’exposition consacrée à Marcel Gromaire est un rendez-vous essentiel pour La Piscine. Originaire du Nord, l’artiste n’avait pas fait l’objet d’une telle rétrospective depuis des années, notamment dans sa région d’origine où il a gardé une importante aura. Son engagement dans les réflexions politiques de sa génération rejoint l’une des préoccupations du musée, dont témoignent la rétrospective « André Fougeron » (2014) et la présentation de L’Homme au mouton de Pablo Picasso (2018).

Gromaire n’a jamais été absent de Roubaix, sa toile monumentale, L’Abolition de l’esclavage (1950), en hommage à Victor Schoelcher, accueille le visiteur à l’entrée du musée. L’œuvre est accompagnée de cinq études préparatoires offertes par le fils de l’artiste. Puis, on découvre l’ensemble – environ 150 dessins, peintures, tapisseries – qui vise à situer les sources de l’artiste.

La méthode Gromaire

Formé à Paris à une période encore dominée par le cubisme, Marcel Gromaire, à l’image de Fernand Léger qu’il admire, élabore un style personnel que l’on peut qualifier de « réalisme synthétique », en géométrisant les figures humaines à l’aide de formes architecturées et schématisées. Les formes, transformées et agrandies, renforcées et éclaircies, aboutissent à une condensation picturale qui impose sa puissance sans aucune médiation. Les personnages, comme les bâtisses du fond, ont des couleurs sombres, à dominante brune ou ocre. Les thèmes traités sont d’inspiration populaire, ce qui dénote des préoccupations sociales et humanitaires. C’est un monde rude de travailleurs comme le montrent l’imposant Marché de Wazemmes (1914, voir ill.), ou Les Terrassiers, 1927. Gromaire s’intéresse ainsi avant tout au milieu populaire – Le Dimanche en banlieue, 1927 – sans oublier les paysans d’Orage sur le blé, 1938. On songe à l’expressionnisme belge – avant tout à Constant Permeke – mais moins tourmenté, moins agressif, plus terrien que celui qui est pratiqué en Flandre.

Cependant, l’œuvre la plus célèbre réalisée par l’artiste est La Guerre (1925). Gromaire a peint ce tableau sept ans après la fin de la Première Guerre mondiale, avec la distance d’une vision rétrospective fondée sur sa propre expérience d’ancien combattant. Il y représente cinq soldats casqués, engoncés dans des manteaux-cuirasses, assis dans une tranchée. Ces robots, aux reflets métalliques, forment un monument à la mémoire de ses compagnons. Enfin, isolées, une quantité importante de gravures conservent la puissance sculpturale de la peinture.

Plongé dans l’incertitude totale, le musée, à l’image de « L’élégance de la force », titre de l’exposition, ne renonce pas à l’espoir.

Marcel Gromaire, 1892-1971, l’élégance de la force,
actuellement fermée puis rouverte jusqu’au 31 mai, La Piscine, 23, rue de l’Espérance, 59100 Roubaix.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°544 du 24 avril 2020, avec le titre suivant : Gromaire en attente à Roubaix

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