Grandeur des petits maîtres

Strasbourg révèle des gravures rhénanes inédites

Le Journal des Arts

Le 21 mars 2003 - 671 mots

Riche de quelque 200 000 œuvres, le Cabinet des estampes et des dessins de Strasbourg dévoile pour la première fois ses gravures rhénanes de la Renaissance. Sélectionnées par l’historien de l’art Jean-Louis Scheffer, ces pièces exceptionnelles par leurs dimensions réduites et leur qualité marient les formes traditionnelles du langage germanique aux innovations plastiques du Quattrocento italien.

STRASBOURG - Plongée dans une semi-pénombre, la salle d’exposition temporaire du Palais Rohan, siège du Musée des beaux-arts de Strasbourg, abrite de “petits” chefs-d’œuvre de la gravure rhénane du XVIe siècle. Petits par la taille – et non par le talent –, la majeure partie des pièces n’excédant pas la dimension d’une carte à jouer, voire d’un timbre poste ! Mises en valeur par une muséographie sobre, qui donne toute sa place aux gravures, les planches d’Albrecht Altdorfer, Heinrich Aldegrever et Lucas de Leyde côtoient celles d’artistes peu connus comme Barthel et Sebald Beham ou Georg Pencz, dits “les petits maîtres” en raison de leur prédilection pour un format très réduit. Point de Dürer ni de Cranach ou Baldung Grien dans cette sélection, d’où ont été écartées d’emblée les figures consacrées. Un choix audacieux que l’on doit à l’écrivain et historien de l’art Jean-Louis Scheffer, auquel Fabrice Hergott, directeur des Musées de Strasbourg, a donné carte blanche. Retenues en fonction de leurs qualités plastiques – originalité des compositions, souplesse et complexité des traits, sensibilité du “toucher” –, ces pièces pour la plupart inédites n’en forment pas moins un véritable ensemble puisque toutes ont su capter les apports de la Renaissance italienne. Aussi une sélection gravée de protagonistes essentiels de cette période (Mantegna, Pollaiuolo, Raimondi...) a-t-elle été placée en regard des artistes germaniques.

L’influence de la Renaissance italienne
Lucas de Leyde, le plus important graveur de son temps avec Dürer, fut l’un des premiers à se montrer sensible aux innovations italiennes, véhiculées à l’époque par l’estampe mais aussi par certains artistes ayant fait le voyage en Italie, tels Dürer et Jan Gossaert. Dans Caïn et Abel (1524), Lucas souligne ostensiblement la musculature des deux frères ennemis, dont l’anatomie dénote l’étude de modèles italiens. Le personnage d’Abel rappelle d’ailleurs la figure centrale de La Mort d’Ananias, composition créée par Raphaël pour une tapisserie de la chapelle Sixtine et dont une variante inversée fut diffusée par plusieurs gravures. Non loin, Le Poète Virgile suspendu dans un panier (1525) témoigne de sa maîtrise de l’architecture classique et de jeux de perspective typiquement italiens, mais aussi de la permanence d’éléments nordiques : l’attention extrême portée au détail, le traitement différencié de chaque matière, le goût de l’ornement... Même syncrétisme du côté d’Heinrich Aldegrever qui, dans sa série consacrée à Hercule (1550), pare le héros d’une cuirasse de muscles inspirée des modèles italiens classiques et renaissants, mais traite le paysage environnant avec un réalisme et une minutie spécifiquement germaniques. Cette virtuosité du trait, dont la grâce le dispute à la précision, est encore plus frappante dans les petits formats. Ainsi des œuvres des frères Barthel et Sebald Beham, qui firent leur apprentissage dans l’atelier de Dürer à Nuremberg, ou de celles de Georg Pencz, actif dans la même ville. Certaines sont amusantes par leur thème et leur mise en page, tel le Génie assis sur une sphère survolant un paysage de Barthel Beham (1520), d’autres sont des morceaux de bravoure, à l’image d’Adam et Ève chassés du Paradis. Dans cette pièce de huit centimètres sur cinq, Sebald Beham parvient à rendre la monumentalité des nus, dont le modelé est savamment rendu. Enfin, il convient de ne pas manquer le très coquin Le Moine et la Nonne par Heinrich Aldegrever, dont la coupable posture ne laisse aucun doute sur le caractère peu catholique de leur occupation. Il s’agit de la seule gravure à rendre compte ici de la dimension polémique de l’estampe à l’époque de la Réforme.

LES DIEUX COMME LES HOMMES

Jusqu’au 27 avril, Musée des beaux-arts de Strasbourg, Palais Rohan, 2 place du Château, Strasbourg, tél. 03 88 52 50 00, tlj sauf mardi, 10h-18h. Catalogue éd. Paris-Musées, 200 p., 39 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°167 du 21 mars 2003, avec le titre suivant : Grandeur des petits maîtres

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