Royal Academy

Goya décapé de son vernis romantique

Les surprises d’une sélection rigoureuse

Le Journal des Arts

Le 1 avril 1994 - 995 mots

Le titre choisi pour l’exposition de Londres, Truth and Fantasy (Vérité et imagination), montre bien que l’authenticité de certaines œuvres du maître pose toujours problème. Juliet Wilson-Bareau et Manuela Mena Marqués, qui ont organisé cette exposition, ont effectué un tri rigoureux entre le vrai et le faux. De bonnes et de mauvaises surprises.

LONDRES - Quatre-vingt-sept œuvres de Goya sont présentées jusqu’au 12 juin à la Royal Academy à Londres, où l’on n’avait pas vu de grande exposition du peintre depuis bientôt trente ans. Ce sera ensuite au tour de l’Art Institute de Chicago de les accueillir, du 15 juillet au 16 octobre. Le public avait déjà eu l’occasion d’admirer ces œuvres au Prado de Madrid, au cours d’une manifestation dont le succès n’a eu d’égal que les controverses nées après que la presse eut annoncé que des faux figuraient parmi les tableaux présentés. L’exposition de Londres soulève le même problème d’authenticité. Au siècle dernier en effet, quantité de peintres romantiques ont réalisé des imitations et des copies de toiles de Goya, quand ils ne les retouchaient pas au vernis épais. Sans oublier qu’on lui a souvent attribué des tableaux de peintres mineurs qui évoquaient ses peintures "noires".

Si la sonnette d’alarme a été tirée dès les années 1880, bon nombre de collections comptent toujours des œuvres d’une authenticité douteuse, tandis que certaines toiles, au nombre desquelles les deux Goya du Musée Ashmolean d’Oxford, ont été plusieurs fois attribuées puis "désattribuées" au peintre.

Juliet Wilson-Bareau, co-organisatrice de l’exposition avec Manuela Mena Marqués, du Prado, précise que la rumeur lancée par la presse est née après la décision prise par deux spécialistes d’écarter plusieurs toiles du Prado. Ceux-ci avaient estimé qu’une expertise complémentaire était nécessaire, comme pour El Exorcisado qui, en effet, n’est probablement pas de la main du maître. Juliet Wilson-Bareau souligne à ce propos que les recherches préparatoires ont permis de mettre fin au mythe, longtemps répandu, selon lequel Goya produisait des œuvres de qualité très inégale : "Certaines sont plus achevées que d’autres, mais toutes révèlent sa parfaite maîtrise. Même lorsqu’il réalisait par nécessité sa dernière série de cartons de tapisseries, il faisait tout pour les améliorer."

Une étude approfondie des petites toiles de Goya
L’exposition, née d’une suggestion de Norman Rosenthal de la Royal Academy, a pour ambition de retracer tout le parcours pictural de Goya à travers ses œuvres de petite dimension. L’ensemble de la palette y figure au grand complet, des peintures italianisantes des débuts, à thèmes historiques ou religieux, aux portraits, caprichos, allégories et cartons de tapisserie, pour terminer par les études qu’il consacre à la sorcellerie, à la guerre et aux formes de l’horreur. Juliet Wilson-Bareau souligne l’intérêt de présenter des toiles de petites taille : "Cela nous a permis de les manipuler, de les examiner au plus près , c’est-à-dire de mener une véritable étude graphologique". Et d’ajouter : "En fait, nous voyons pour la première fois certains tableaux défigurés par un vernis brun que le Prado a fait nettoyer."

Toutes les œuvres retenues pour l’exposition ont été soumises à un examen sévère. Chaque touche, chaque nuance de lumière, chaque expression a été étudiée. Juliet Wilson-Bareau a scruté de près les visages des hauts personnages dont Goya faisait si bien la satire. La guerre, la famine, les asiles ou les corridas des Goya en herbe semblent bien pâles comparés à la puissance de l’original. Souvent, en particulier sur les copies du XIXe siècle, le tragique vire à la grimace. Et si Juliet Wilson-Bareau a écarté des dizaines d’œuvres, elle a en revanche établi avec certitude l’authenticité de certaines pièces, longtemps mises en doute par les experts. C’est le cas de l’étude pour la tapisserie des Jeunes filles avec des cruches de 1791 : la vieille femme représentée sur l’étude préparatoire ne figurait plus sur le carton. La radiographie demandée par Juliet Wilson-Bareau a révélé sa présence sur la première couche de peinture du carton repeinte dans la version finale.

Juliet Wilson-Bareau a également authentifié une étude pour Hannibal le conquérant, faisant partie d’une collection privée. Celle-ci est particulièrement importante puisqu’il s’agit de la première œuvre connue de Goya. "Je ne voulais pas croire qu’elle était de Goya, raconte-t-elle, le sujet semble si académique, si classique, pas du tout le genre de thème qui l’intéressait." Mais quelque chose lui disait qu’il fallait persévérer : elle a convaincu le propriétaire d’envoyer l’étude au Prado où on l’a débarrassée d’ajouts ultérieurs apportés par un restaurateur à la main lourde. Est alors apparu le coup de pinceau du maître, notamment pour les détails d’une petite main posée sur l’épaule d’Hannibal. "Elle est parfaite", commente Juliet Wilson-Bareau en rappelant que, chez Goya, la finesse de la touche suggère une vraie prise, un mouvement puissant des mains.

Cette attribution est confirmée par la découverte récente, grâce aux recherches de Juliet Wilson-Bareau, d’un carnet dont le peintre s’est servi entre 1770 et 1785 : on y trouve, entre autres, bon nombre d’esquisses pour Hannibal. L’étude pour Hannibal, rendue à son aspect originel, a permis d’authentifier le tableau même, qui fait partie d’une collection espagnole, et que l’on attribuait jusqu’ici à un artiste anonyme du XVIIIe siècle.

A l’occasion de ce long travail préparatoire, Juliet Wilson-Bareau a également remis en cause l’authenticité des Majas au balcon du Metropolitan de New York. Il en existe cinq versions, dont les deux toiles de Pollock House, à Glasgow. Elle s’empresse de souligner qu’aucun jugement n’est infaillible, et qu’aucune certitude ne sera permise tant qu’un catalogue raisonné fera défaut : "Nous n’avons pas encore établi de critères fiables pour authentifier les œuvres de Goya", dit-elle. Le seul catalogue de référence actuellement disponible reste celui qu’elle a co-signé avec Pierre Gassier.

Le catalogue publié pour l’exposition par la Yale University Press s’est vu décerner le prix 1993 de l’Asda, l’Association de soutien et de diffusion d’art, d’un montant de 10 000 dollars (60 000 F.). Prix du catalogue relié : 40 livres (350 F.) et broché : 19.95 livres (170 F.).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Goya décapé de son vernis romantique

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque