Art contemporain

Gordon Matta-Clark, l’anarchitecte

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2018 - 572 mots

Le Jeu de paume consacre une exposition à celui qui découpa des vides et fit des trous dans le paysage urbain du Bronx ou de Paris, taillant dans la structure même de l’architecture.

Paris.« Gordon Matta-Clark, anarchitecte ». Posée en postulat et en titre de l’exposition, la dénomination claque. Elle porte le souffle de la subversion. Pour expliquer ce choix, Sergio Bessa et Jessamyn Fiore, ses commissaires, renvoient au terme « anarchitecture » utilisé par l’architecte et théoricien britannique Robin Evans dans son article « Towards Anarchitecture » (« Vers l’anarchitecture »), publié en janvier 1970. Le détournement du titre du livre de Le Corbusier Vers l’architecture (1923) dit son opposition aux préceptes modernistes. Dans une note de bas de page, Robin Evans explicite l’étymologie grecque du nom « an (non), archi (maître), tegere (bâtiment) : an’architecture (non-architecture) ou anarchi’tecture : la tectonique du non-contrôle ».

« Quand Gordon Matta-Clark cofonde en 1973-1974 le groupe Anarchitecture, on ignore s’il avait connaissance de cet article. Mais sa conception de l’“anarchitecture” semble elle-même engagée dans une réévaluation du vocabulaire consacré de l’architecture », souligne Antonio Sergio Bessa, directeur des programmes de conservation et éducation du Bronx Museum of the Arts à New York où cette exposition a d’abord été présentée, sous une forme un peu différente. Ainsi, ne figuraient pas à New York les trois projets de « cutting » (« découpe ») réalisés à Paris : Conical Intersect (« Intersection conique »), créée en 1975 lors de la Biennale de Paris sur deux immeubles anciens voués à la démolition et jouxtant le Centre Pompidou en cours de construction ; Sous-sols de Paris (1977) et Descending steps for Batan (« En descendant les marches pour Batan »), présentée en 1977 à la galerie Yvon Lambert en hommage à son frère jumeau qui s’était suicidé peu avant.

Pour Gordon Matta-Clark (1943-1978), « l’anarchitecture ne vise pas la solution de problèmes », comme le déclare le jeune artiste. « Nous pensions plutôt à des vides métaphoriques, des trous, des espaces laissés à l’abandon, des endroits qui ne sont pas encore développés. » Les actions in situ à New York ou à Paris exposées au Jeu de paume illustrent la démarche foisonnante et inclassable de cet architecte de formation et « anarchitecte » dans ses interventions aux allures de performance.

Une dimension sociale

Fils du peintre surréaliste chilien Roberto Matta et de la designer américaine Anne Clark, Gordon Matta-Clark développe une pratique indissociable du milieu artistique familial comme du sien propre, ancré dans le New York des années 1970. Les membres d’Arnachitecture sont autant des architectes que des artistes telles la vidéaste et performeuse Tina Girouard ou la musicienne Laurie Anderson. Si cette pluridisciplinarité est perceptible dans l’exposition, c’est surtout par la nature invariablement participative et émancipatrice que les films présentés donnent à saisir des actions.

Dessins, photographies, performances filmées, productions de graffitis ou actions en soutien aux graffeurs témoignent du désir de Matta-Clark « que les gens prennent possession de leur espace plutôt que d’en être prisonnier », rappelle Jessamyn Fiore, codirectrice de la succession Gordon Matta-Clark et fille de Jane Crawford, veuve de l’artiste. « Gordon plaçait la justice sociale au cœur de son travail. »

Les actions sur le terrain de l’anarchitecte qu’il fut sur une période très courte (Matta-Clark meurt d’un cancer à l’âge de 35 ans) portent ses engagements artistiques. Placé en ouverture, le film Clockshower (1974), qui le montre en train de faire sa toilette accroché aux aiguilles d’une horloge, rappelle l’espièglerie du jeune homme tout en faisant référence à Charlie Chaplin ou Buster Keaton face aux temps modernes.

 

 

gordon matta-clark, anarchitecte

jusqu'au 23 septembre, Jeu de paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Gordon Matta-Clark, l’anarchitecte

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