Art moderne

Coup de cœur

Germaine Richier, enfin !

Centre Pompidou, Paris-4e – Jusqu’au 12 juin 2023

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 25 avril 2023 - 695 mots

Chaînon manquant entre Rodin et César, l’œuvre de Germaine Richier est exposée dans une rétrospective qui rend hommage et justice à la sculptrice, artiste majeure du XXe siècle.

Il était temps, plus que temps même, d’exposer l’œuvre de Germaine Richier (1902-1959) ; une œuvre décisive, puissante et sensible, égale à celle de Giacometti et de Picasso, dont les occasions ont été rares, ces dernières années, de mesurer l’importance. La dernière grande exposition consacrée à l’artiste remonte à 1996, à la Fondation Maeght (Saint-Paul-de-Vence). Depuis, le Musée Picasso à Antibes avait bien célébré les soixante ans de la disparition de l’artiste, en 2019, en montrant une facette méconnue de son travail, ses gravures, mais la grande rétrospective tant attendue tardait à venir. La faute à une œuvre rare – disparue prématurément en 1959, Germaine Richier n’a pas eu la longévité de Picasso ; la faute, aussi, aux gardiens d’un temple tenu jalousement fermé … Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. Dès l’entrée de l’exposition qu’il organise conjointement avec le Musée Fabre (Montpellier), le Centre Pompidou rappelle que l’État français a acquis dès 1937, pour 22 000 francs, un bronze de 1934 de Richier : Loretto. Lors de sa présentation au Jeu de paume en 1937, dans une exposition consacrée aux « Femmes artistes d’Europe », cette statue en pied d’un adolescent nu révèle déjà toute la maîtrise de la jeune artiste. Prélude d’une carrière hors norme qui fera de Germaine Richier, en 1956, la première femme exposée de son vivant au Musée national d’art moderne. Riche de près de deux cents œuvres (en majorité des bronzes, mais aussi des gravures, des dessins et quelques peintures), la rétrospective rend enfin sensible le parcours ascensionnel de l’artiste, de sa formation « classique » aux Beaux-Arts de Montpellier à ses « hybridations » de l’humain et de la nature. Elle révèle d’abord sa parfaite science du volume acquise auprès de Guigues (ancien praticien de Rodin) puis de Bourdelle. Dans les années 1920, la jeune sculptrice fait ses gammes avec des bustes et des têtes d’une grande ressemblance. Germaine Richier s’attache à saisir l’âme de ses modèles, souvent des proches. Et l’âme passe par la matière ; les plâtres vibrent sous les doigts de l’artiste qui, très vite, va délaisser la vérité au profit de la vie. En 1941, son Torse II n’a déjà plus de visage ni de bras ; on pourrait le croire inachevé, s’il n’évoquait pas les sculptures antiques fragmentées. Tout bascule en 1945 avec La Pomone, et plus encore en 1946 avec La Vierge folle. Terriblement humaine, cette dernière n’a plus rien, ou presque, d’une femme : ses jambes sont trop courtes, ses bras trop fins. Et que dire de sa tête qui n’en est plus une ! Germaine Richier expérimente ; elle reprend là où Rodin a laissé la sculpture. En 1945, elle réalise un petit plâtre sur lequel elle greffe une branche d’arbre ramassée dans le Valais, en Suisse. L’Homme-forêt est le premier de ses êtres hybrides, où la figure humaine se mêle au monde naturel. Le génie de Germaine Richier naît à ce moment précis, qui donnera à son tour naissance à une œuvre puissamment originale dominée par La Mante (1946), sa sculpture la plus connue. Mais l’artiste ne s’arrête pas là et poursuit plus loin ses recherches. En 1953, elle récupère chez son fondeur des chutes de plaques de cire pour en faire de vaillants petits « guerriers », rassemblés dans une salle de l’exposition. À la même époque, elle expérimente aussi un nouveau matériau, le plomb, plus ductile, dans lequel elle incruste des fragments de verre. Sa Croix avec verres de couleur (1953) n’a plus rien à voir avec son Christ d’Assy (1950), chef-d’œuvre sorti pour la première fois de son église pour être présenté dans l’exposition. À la fin de sa vie, Germaine Richier intègre la couleur en peignant les plâtres de son grand Échiquier (1959). « C’est un grand travail qui a réjoui mon cœur », écrit-elle. Gravement malade, l’artiste décèdera quelques semaines plus tard. Devant cet Échiquier, on ne peut s’empêcher de se demander où celle-ci aurait emmené la sculpture si la vie, qu’elle s’était tant attachée à traduire, ne lui avait pas été volée ?

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Germaine Richier, enfin !

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