French Touch ?

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 juillet 2003 - 869 mots

Depuis le printemps, les Français ont envahi Londres, invasion fomentée dans les règles de l’art par le gouvernement et plus précisément par les services culturels de l’ambassade de France au Royaume-Uni alliés à l’Institut français de Londres. La conquête n’est donc qu’artistique avec la photographie et la vidéo pour seules armes. Jusqu’ici, l’Angleterre semblait pourtant mettre moins d’ardeur que sa voisine à défendre ces médiums. Paris et son « Mois de la Photo » attire chaque année de plus en plus de visiteurs et de propositions. Il semblait donc tout naturel que le savoir-faire frenchy s’attaque au calendrier de nos frères ennemis. Vingt et un lieu d’expositions (galeries, musées, centres d’art) ont été mis à contribution pendant plus d’un trimestre pour accueillir photographes historiques autant que jeunes artistes, labellisés « émergents ». L’OPA s’est réalisée tout en douceur, avec des répercussions plutôt positives, à en juger par les divers et nombreux articles dans la presse anglaise. Les critiques et le public ont beau être un peu déçus de ne pouvoir dessiner de mouvement YPA (Young Parisian Artists) à l’instar de leur YBA des années 1990, faute d’une cohérence stylistique et conceptuelle, ils reconnaissent le talent certain des petits Français.
Ils savourent surtout la liberté totale qui fut accordée aux vingt et un commissaires d’exposition de choisir eux-mêmes les artistes à exposer. Pour « Made in Paris », l’œil est donc résolument anglais et privilégie des noms globalement peu diffusés sur cette rive de la Manche. Le Centre des attentions, lieu d’art installé dans le quartier de Shoreditch, a pris à ce titre son rôle de défricheur très à cœur, en sélectionnant de jeunes diplômés de l’École des beaux-arts. FA projects présente les travaux de Fiorenza Menini, Laurent Montaron et Guillaume Leblon, Gasworks dévoile une vidéo de Renaud Bézy, dans laquelle des immeubles s’effondrent (Blocks). La très branchée Laurent Delaye Gallery expose une vidéo de Ryutae Amae dont on avait découvert les paysages imaginaires chez Michel Rein à Paris, il y a deux ans, et les créatures étranges de Jean-Pierre Khazem, artiste représenté par Emmanuel Perrotin récemment exposé au CNP. À ces sélections un brin disparates et sans homogénéité susceptible d’esquisser une tendance véritablement construite, s’ajoutent quelques manifestations moins audacieuses, mais célébrant une photographie historique à l’incontestable identité visuelle. Glamour, légèreté et chroniques du siècle dernier sont à l’honneur au Victoria & Albert Museum ainsi qu’à la Michael Hoppen Gallery.
Le premier rend hommage à Guy Bourdin, discret et énigmatique photographe de mode dont les clichés mirent en place dès les années 1950 une manière et un vocabulaire des plus personnels.
Ses compositions à l’inflexion souvent dramatique, teintées d’une touche de glamour, d’un zeste de violence sexuelle en firent, aux côtés de Newton ou Sieff, l’un des pourfendeurs des conventions de
la photographie de mode et de publicité. La seconde abrite les clichés du mythique Lartigue, photographe surdoué vénéré dans les pays anglo-saxons bien avant d’être reconnu dans le sien. En point d’orgue de ces rétrospectives historiques, la David Gill Galleries dévoile une partie du joli fonds de la Maison européenne de la photographie, qui compte pas moins de quinze mille pièces recensant l’itinéraire de la photographie européenne depuis la fin des années 1950. Privilégiant les acquisitions récentes, l’exposition de Londres ménage un bel équilibre entre la photographie de reportage, de mode, et celle flirtant avec les arts plastiques. Une plate-forme prestigieuse célébrant aussi bien Robert Frank, Raymond Depardon que Bernard Faucon ou Ralph Gibson qui rappelle l’engagement croissant de la Ville de Paris dans les arts visuels. Enfin, la très sobre et designée galerie Michael Hue-Williams Fine Art reçoit Brancusi le photographe. Initié par Man Ray, ce dernier photographia méthodiquement ses propres œuvres, rappelant notamment par ses cadrages la portée capitale du travail effectué par et sur le socle. Autoportraits et vues de l’atelier complètent cet accès moins familier mais passionnant à l’œuvre du sculpteur. « Made in Paris » témoigne finalement, et dans son ensemble, de la difficulté éprouvée par la scène artistique française à incarner la fameuse french touch, plaquée sur la musique électronique et la mode, et que les Anglais avaient eu le flair de déceler. Mais la manifestation révèle également combien la photographie et plus globalement l’image occupent une place centrale dans les débats culturels parisiens comme dans les institutions. À l’heure de la rétrospective Lartigue à Beaubourg, du succès des galeries photographiques d’Orsay, de la naissance de la fondation Cartier-Bresson, de l’imminence de la nomination d’un directeur pour le futur Centre pour l’image, la France se tient manifestement prête à honorer à sa juste mesure un de ses plus beaux savoir-faire, à condition, bien sûr, de ne pas se noyer dans la surproduction.

« Made in Paris : Photo/Vidéo, Un regard britannique sur la création française », LONDRES (G.-B.), www.institut-français.org.uk/madeinparis Victoria & Albert Museum jusqu’au 17 août ; Laurent Delay Gallery jusqu’au 12 juillet ; Anne Faggionato Gallery jusqu’au 12 juillet ; Michael Hoppen Gallery jusqu’au 9 août ; The Centre of Attention jusqu’au 13 juillet ; Shine Gallery jusqu’au 9 août ; David Gill Galleries jusqu’au 10 juillet ; Michael Hue-Williams Fine Art jusqu’au 30 août ; Hackelbury jusqu’au 31 juillet ; Gasworks Gallery jusqu’au 3 août ; FA projects jusqu’au 2 août.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°549 du 1 juillet 2003, avec le titre suivant : French Touch ?

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