Format, cadrage, palette impressionniste… Bastien-Lepage incarne un naturalisme novateur

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 1 août 2007 - 471 mots

Les scènes rurales et les portraits sont les deux versants de l’œuvre peinte de Bastien-Lepage. Les premières aiguillonnaient ses recherches tandis que les seconds le nourrissaient.

Le regard hagard de la jeune paysanne
Les Foins s’inscrivent dans un courant pictural popularisé par Jean-François Millet (1814-1875) et ses Glaneuses et Angélus. Le thème n’est donc pas neuf. Certaines parties du tableau ne renient également en rien la formation traditionnelle de Bastien-Lepage. Tout le personnage de la jeune paysanne est une reconstitution minutieuse témoignant de l’habileté de l’élève de Cabanel. Le dessin du visage, la finesse du corsage, la semelle des chaussures, jusqu’aux ongles sales affirment le beau métier.
Le caractère novateur de la toile réside dans la manière qui emprunte aux impressionnistes. Les couleurs sont beaucoup plus vives, la tonalité générale rompt avec le coloris sourd habituel.
Le rendu précis de la paysanne contraste avec le traitement plus simple de son compagnon allongé et plus encore avec celui du paysage. Ici la touche est plus visible, les formes, moins dessinées.
Le cadrage et la composition sont plus personnels. Bastien-Lepage adopte un format presque carré, inhabituel dans ce genre de sujet. Le ciel occupe une mince bande supérieure focalisant le regard sur la paysanne. L’arbre représenté sur la droite vient appuyer la composition et conduire le regard.
Légèrement décentré sur la gauche, le personnage principal est vu en plongée, dans un plan très rapproché du regardeur. Tout se passe comme si le peintre avait surpris la scène sur le vif tout en marchant. On est loin de la peinture en atelier. Les contemporains ont naturellement beaucoup commenté le regard hagard de la jeune femme, les uns pour stigmatiser cette intrusion vulgaire, les autres pour louer l’authenticité voire la critique sociale.

L’œil d’un portraitiste sur la paysannerie et la misère
La Récolte de pommes de terre suit d’un an Les Foins et en a repris toutes les caractéristiques format, composition, cadrage, point de vue, palette et thématique. Les deux tableaux refusent l’anecdote qui les aurait fait basculer dans la scène de genre, le sort traditionnel de nombreux tableaux du Salon. L’enfant de Damvillers tient à témoigner avec sincérité des conditions de vie de la paysannerie sans pour autant tomber dans le sentimentalisme.
Le Vieux Mendiant de 1880 est en revanche plus engagé. Ici, pas de fière paysanne au travail mais le spectacle, certes retenu, de la misère sociale. Le geste secourable de la petite fille n’est qu’un prétexte pour dresser le portrait d’un mendiant. Une image avec des résonances encore actuelles.
Contrairement à Millet ou à Breton, les personnages des scènes rurales ont une présence forte. Les Foins pourraient aisément être renommés Portrait de Mme X, paysanne. C’est tout le talent du Bastien-Lepage portraitiste : s’attacher à l’humanité de ses modèles, comme dans les portraits de sa mère, son père, ou celui de son grand-père.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Format, cadrage, palette impressionniste… Bastien-Lepage incarne un naturalisme novateur

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